L'Alamblog - Mot-clé - Chiron2024-03-29T07:58:15+01:00Le Préfet maritimeurn:md5:891a4437ffb56035bcdd99ce6fc8c9f0DotclearDialogue du ciron et de la monade (1865)urn:md5:d4b466d8b09ea45c83cee5fdfc18b9502014-01-17T00:19:00+01:002014-01-17T11:26:06+01:00Le Préfet maritimeApostilleAchille MarminiaAnimauxChironCironEcrivainsMonade <p><img src="http://www.alamblog.com/public/.Cironetalii_m.jpg" alt="Cironetalii.jpg" style="display:block; margin:0 auto;" title="Cironetalii.jpg, janv. 2014" /><br />
<br />
<br />
<br /><strong>VIIe DIALOGUE ENTRE UN CIRON ET UNE MONADE</strong><br />
(Dans le cabinet d'un auteur.)<br /></p>
<p>LA MONADE.<br />
Voisin, dites-moi donc ? où suis-je ?<br /></p>
<p>LE CIRON.<br />
Sur la main<br />
D'un écrivain fameux<br /></p>
<p>LA MONADE.<br />
Je nage dans un bain ;<br />
Cet homme est en sueur.<br /></p>
<p>LE CIRON.<br />
Il s'échauffe la bile<br />
A courtiser la nuit une muse incivile<br />
Qui le soir le trahit. Mais qui me parle ici ?<br /></p>
<p>LA MONADE.<br />
Moi!<br /></p>
<p>LE CIRON.<br />
Qui ? vous ?<br /></p>
<p>LA MONADE.<br />
La monade ! Un être en raccourci,<br />
Pas plus gros que rien.<br /></p>
<p>LE CIRON.<br />
Quoi ! nonobstant mes lunettes,<br />
Je ne distingue rien !<br /></p>
<p>LA MONADE.<br />
Voyez mes pattes prêtes<br />
A vous prendre la vôtre.<br /></p>
<p>LE CIRON.<br />
Où vous tenez-vous ?<br /></p>
<p>LA MONADE.<br />
Là !<br /></p>
<p>LE CIRON.<br />
Vous êtes invisible à l'œil nu.<br /></p>
<p>LA MONADE.<br />
Me voilà.<br /></p>
<p>LE CIRON.<br />
Bon ! je commence à voir un point imperceptible<br />
Qui se meut sur la peau de cet auteur paisible<br />
Qui rumine à loisir un poème.<br /></p>
<p>LA MONADE.<br />
Ah ! tant mieux.<br /></p>
<p>LE CIRON.<br />
Vous devez en vouloir au grand maître des cieux,<br />
Ma chère ?<br /></p>
<p>LA MONADE.<br />
Pourquoi donc ?<br /></p>
<p>LE CIRON.<br />
Parbleu ! votre corps grêle<br />
N'eut jamais son pareil ; votre enveloppe frêle<br />
Ne se peut définir. L'étrange vermisseau !<br />
Vous ne possédez point sûrement un cerveau ?<br /></p>
<p>LA MONADE.<br />
Si fait, Seigneur ciron. Voyez ! mon crâne est digne<br />
D'entrer en parallèle avec le vôtre. Un signe<br />
Que je porte à la tête indique que l'esprit<br />
Chez moi brille et pétille. On me l'a toujours dit :<br />
Je suis un animal subtil autant que sage.<br /></p>
<p>LE CIRON.<br />
Vous êtes un atome ! un trompe-l'œil ! Je gage<br />
Que cent de votre race en pourraient tout au plus<br />
Faire un seul comme moi. Vos soins sont superflus :<br />
Vous êtes sur la terre un animal risible.<br /></p>
<p>LA MONADE.<br />
Comment !<br /></p>
<p>LE CIRON.<br />
Vous vous fâchez ? Quel animal terrible<br />
Que vous !<br /></p>
<p>LA MONADE.<br />
Vous me raillez.<br /></p>
<p>LE CIRON.<br />
Peut-être. C'est le cas<br />
De railler dans le vide alors qu'on ne voit pas<br />
Seulement votre face.<br /></p>
<p>LA MONADE.<br />
Approchez, mon compère ;<br />
Et vous pourrez me voir à loisir, je l'espère.<br />
Prenez ma patte.<br /></p>
<p>LE CIRON.<br />
Oh ! non, je craindrais d'écraser<br />
Vos membres délicats. Tâchez de vous caser<br />
A l'abri de mes coups parfois involontaires.<br />
Causons sans nous toucher ni nous voir. Locataires<br />
De cet honnête auteur, nous avons mêmes droits<br />
Sans payer de loyer.<br /></p>
<p>LA MONADE.<br />
Je crains fort que les doigts<br />
Du poète inspiré nous causent de la peine.<br />
Il les crispe souvent. Sa main forme une plaine<br />
Où se peut fourvoyer notre corps délicat.<br />
S'il se gratte, je trouve un trépas sans éclat.<br /></p>
<p>LE CIRON.<br />
Quel blasphème ! cet homme est célèbre sur terre ;<br />
Le monde le contemple autant qu'il le révère ;<br />
Trente ouvrages fameux le rendront immortel,<br />
Et l'Institut bientôt lui prépare un autel<br />
Où l'encens prodigué doit brûler.<br /></p>
<p>LA MONADE.<br />
Quelle offense !
Quoi ! de l'Académie il serait membre ?<br /></p>
<p>LE CIRON.<br />
On pense<br />
L'élire au premier jour.<br /></p>
<p>LA MONADE.<br />
Voilà bien les humains !<br />
Pour quelques bouts-rimés, pour quelques discours vains<br />
Ils adulent un homme en lui prêtant d'un ange<br />
Les ailes et le cœur. Le monde est bien étrange.<br />
Alors qu'un écrivain est un compilateur,<br />
Un fourbe, un plagiaire, en deux mots, un voleur,<br />
Courant après l'esprit d'un autre pour se faire<br />
Un nom que le public bien pensant devrait taire,<br />
Des flots d'admirateurs l'entourent en criant<br />
A l'homme de bon goût, de tact et de talent.<br /></p>
<p>LE CIRON.<br />
Oh ! oh ! ma jeune amie, arrêtez ! Un faux zèle<br />
Vous perd.<br /></p>
<p>LA MONADE.<br />
Du tout, je suis bon juge.<br /></p>
<p>LE CIRON.<br />
Bagatelle !<br /></p>
<p>LA MONADE.<br />
Chansons ! maître ciron, j'ai mis le nez dessus :<br />
Vos auteurs en renom deviennent corrompus<br />
A force de passer pour des êtres sublimes,<br />
Réformant notre langue, en l'élevant aux cimes<br />
Des monts où la folie a planté son drapeau.<br />
Contemplez l'écrivain dont nous flairons la peau !<br />
Quel air de suffisance il affiche ! Il s'agite,<br />
S'efforce de passer pour une âme d'élite,<br />
Aspirant au Parnasse, au Trône, à l'Institut,<br />
En payant au pays un insolent tribut.<br />
Compulsons, supputons les écrits qu'il enfante.<br />
Ce vrai galimatias qu'on adopte et qu'on vante<br />
Comme s'il s'agissait du style de Boileau,<br />
A. nos yeux clairvoyants n'apprend rien de nouveau,<br />
Sinon que le public est toujours pris pour dupe,<br />
Qu'il change en un phénix une ignorante huppe<br />
Grossissant son plumage en s'aiguisant le bec,<br />
Pillant l'esprit d'un autre et le bon sens avec.<br /></p>
<p>LE CIRON.<br />
Vous ergotez.<br /></p>
<p>LA MONADE.<br />
Je juge avec cette assurance<br />
Que l'on admire en moi.<br /></p>
<p>LE CIRON.<br />
De votre malveillance<br />
Je redoute l'étreinte. En mon cœur de ciron,<br />
Oui, je dois réfuter votre harangue.<br /></p>
<p>LA MONADE.<br />
Bon !<br />
J'aspire à vous entendre. On a l'âme solide.<br />
Vous n'observerez point sur ma face une ride<br />
Alors que vous allez combattre l'argument<br />
Que je lance.<br /></p>
<p>LE CIRON.<br />
Il ne faut beaucoup de jugement<br />
Pour détruire un par un vos arguments de paille.<br />
Vous êtes pessimiste, et tirez à mitraille<br />
Sur ces pauvres auteurs qui s'usent le cerveau<br />
A charmer le public en trouvant du nouveau.<br />
Ceux que vous accusez de tromper votre attente,<br />
Ont encor cet esprit qu'avec raison l'on vante ;<br />
La verve, le talent, le tact et le bon goût,<br />
L'imagination et le travail surtout<br />
Ont droit à des succès dans ce monde frivole.<br />
Quiconque dans ses vers nous instruit, nous console,<br />
Nous amuse, et se montre un habile écrivain,<br />
Veut selon l'équité qu'on lui tende la main.<br />
Pour moi j'admire fort ces héros de la plume,<br />
Forgeant et polissant sur une illustre enclume<br />
Mille pensers d'amour, d'esprit et de savoir,<br />
Ne s'écartant jamais du sentier du devoir,<br />
Fournissant une tâche aussi noble que belle,<br />
Pour aller au Parnasse encenser l'infidèle,<br />
Et revenir sur terre au sein de leurs pareils,<br />
Réchauffés par les feux de cent mille soleils.<br />
Honneur aux écrivains dont la plume fertile<br />
Combat l'iniquité ; dont la muse docile<br />
Défend Dieu, venge l'homme en lutte avec le sort !<br />
Sans redouter les coups de l'inflexible mort,<br />
Sans craindre que l'oubli les atteigne en ce monde,<br />
Ils régneront là haut où la paix est profonde,<br />
Et leurs moindres écrits seront divinisés.<br /></p>
<p>LA MONADE.<br />
Divinisés ! le mot me semble fort.<br /></p>
<p>LE CIRON.<br />
Prisés<br />
Dans ce vaste Univers, ils le seront dans l'autre.<br />
Quiconque sur la terre aura fait un apôtre<br />
Et propagé le bien en de nombreux écrits,<br />
De ses chastes travaux viendra toucher le prix.<br />
Mais ceux dont la doctrine, et fausse et dangereuse,<br />
Se plaît à ravaler la vertu précieuse,<br />
S'ils acquièrent un nom qu'on usurpe ici-bas,<br />
Dans un monde à venir ils ne brilleront pas.<br />
Mais c'est philosopher beaucoup trop. Le poète,<br />
En mettant sa cervelle au supplice, s'apprête<br />
A jouer vilain tour à notre pauvre corps.<br />
Il s'agite, il s'émeut, et fait tous ses efforts<br />
Pour trouver un bon mot en dépit de la rime.<br />
Si, pour notre malheur, cet exalté s'escrime<br />
A remuer encor la main, nous périssons,<br />
Moi, puis vous le dernier des plus doctes cirons.<br />
Si vous daignez en croire un cadet qui se pique<br />
D'avoir vu du pays ; pour qui la politique<br />
Est moins que rien, un jeu, nous irons transporter<br />
Nos pénates ailleurs, et, par contre, goûter<br />
Des plaisirs moins troublés.<br /></p>
<p>LA MONADE.<br />
J'accepte. Si son pouce<br />
Par un tic impudent et me touche et me pousse,<br />
Je suis une monade à noyer.<br /></p>
<p>LE CIRON.<br />
Sans écueil<br />
Nous pourrons déserter le poste.<br /></p>
<p>LA MONADE.<br />
L'écureuil<br />
Est moins prompt à sauter que moi. Je vais me rendre<br />
Chez un vieillard goutteux dont la chair est moins tendre,<br />
Mais qui ne bouge point non plus qu'un homme mort.<br /></p>
<p>LE CIRON.<br />
Je vous suis.<br /></p>
<p>LA MONADE.<br />
Je prédis pour nous un meilleur sort<br />
Que celui que nous fit longtemps cet imbécile<br />
Dont la plume exécrable et par trop indocile<br />
Convoitait notre perte au profit de son nom. <br /></p>
<p>LE CIRON.<br />
Escaladez mon dos, ma charmante.<br /></p>
<p>LA MONADE.<br />
Non, non.<br />
Je m'attache à vos pas, sans gêner votre échine.<br />
Partons sans discourir. Tout droit.<br /></p>
<p>LE CIRON.<br />
Bon ! ma voisine.<br />
<br />
<br />
<strong>Achille Marminia</strong> <em>Les animaux philosophes : dialogues des bipèdes et des quadrupèdes précédés d'une préface rédigée par un honnête chien barbet, et transcrite par son fidèle ami le caniche Azor</em> (Paris, E. Maillet, 1865). A paraître prochainement au sein d'une collection en cours de parturition.
<br />
<br />
Illustration du billet : <strong>Nicolas Andy</strong>,<em> Vers solitaires et autres de diverses espèces</em> (Paris, L. d' Houry, 1718). L'on voudra bien nous excuser de ne pas présenter d'illustration crédible de la monade.</p>http://www.alamblog.com/index.php?post/2013/12/16/Dialogue-du-ciron-et-de-la-monade#comment-formhttp://www.alamblog.com/index.php?feed/atom/comments/2303