L'Alamblog - Mot-clé - Hôtel Drouot2024-03-28T18:27:22+01:00Le Préfet maritimeurn:md5:891a4437ffb56035bcdd99ce6fc8c9f0DotclearPlume à vendre (1873)urn:md5:bd23d273c834392da32f47d53d8a0d272009-10-08T00:23:00+02:002009-10-16T09:12:36+02:00Le Préfet maritimeAd Usum BibliofilousAchim von ArnimAuguste VermorelElie et Louis FréronHôtel DrouotThéodore Vibert <p><img src="http://www.alamblog.com/public/plumeplumeplomb.jpg" alt="plumeplumeplomb.jpg" title="plumeplumeplomb.jpg, oct. 2009" /> (Cl. C. Naya, circa 1865)<br />
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<strong>Plume à vendre</strong></p>
<p>Avez-vous assisté dans le temple des ventes<br />
Aux longs enivrement s des enchères ardentes ? <br />
Les meubles remués, les cris et le marteau <br />
Frappant comme un tambour le faîte du bureau, <br />
Do bruits assourdissants font retentir les salles ; <br />
On dirait les éclats d’un millier de cymbales. <br />
Cependant je ne sais quel attrait singulier <br />
Vous saisit aussitôt qu’au bas do l’escalier <br />
Vous avez entendu l’annonce formidable <br />
Que le courtier mugit du sommet de la table. <br />
Serait-ce le besoin de noyer dans le bruit <br />
Quelque pesant penser qui sans trêve nous suit ? <br />
Ou serait-ce plutôt cette pente secrète <br />
Qui nous pousse a chercher une porte discrète <br />
D’où l’on puisse d’autrui saisir à l’imprévu <br />
Les espoirs, les regrets !… Surtout sans être vu,<br />
Tant, de désirs jaloux, notre urne est asservie, <br />
Dans ces bahuts épars on veut lire la vie <br />
De ceux que la fortune un matin a trompés, <br />
De nos bonheurs perdus tous ces objets trempés<br />
Laissent suinter encore ou le rire ou les larmes ; <br />
Des athlètes vaincus ce sont les mornes armes. <br />
C’est la que la splendeur éteint ses derniers feux! <br />
Qu’on ait été duchesse ou banquier amoureux. <br />
C’est là que les plaisirs exposent leurs défroques ; <br />
Souvenirs éternels, sentimentales loques ! <br />
C’est là que les marchands chéris des usuriers<br />
Viennent de la misère explorer les sentiers ! <br />
C’est là que l’honnête homme oublié de la chance <br />
Voit mourir à ses pieds sa dernière espérance. <br />
Un jour que je passais près du temple Drouot, <br />
Je gravis malgré moi les marches du tripot, <br />
Emporté par ces cris : A vendre ! Plume à vendre !<br />
Du désir de savoir je ne sus me défendre ! <br />
Au moment où j’entrais, un monsieur à lorgnon,<br />
Fit : — « Voyons votre plume, est-elle bonne ou non ? »<br />
— « Passez, dit le crieur, le manche est en ivoire ; <br />
« La plume a tant servi qu’elle en est toute noire. <br />
« Mais elle est en platine, un excellent métal <br />
« Pour ne jamais faiblir sur le dos d’un journal. <br />
« Comme un bec de vautour elle mord et déchire <br />
« Celui qu’elle a choisi pour objet de son rire. <br />
« Vermorel le sut bien, lui qui vous immolait <br />
« En usant de ma plume ainsi que d’un stylet. <br />
« Si contre l’ennemi sa pointe est effilée, <br />
« Si contre sa victime, avec rage étranglée, <br />
« Elle sait vaillamment porter de rudes coups, <br />
« Elle sait encor mieux se traîner à genoux. <br />
« Quand la main qui la guide est une main habile,<br />
« Comme un vieux courtisan elle est souple et docile ; <br />
« Pendant dix ans et plus les caves du Pouvoir, <br />
« Pour éteindre sa soif furent son abreuvoir. <br />
« Mais rusé diplomate, aussitôt que l’Empire <br />
« Sous un dernier frisson piteusement expire, <br />
« Elle plante son nid aux pieds de Cyclopas, <br />
« Et sa jeune ferveur, pour goûter ses repas*<br />
« Courbe humblement le bec, sans lui faire la moue.<br />
« Avec grâce elle sait se vautrer dans la boue.<br />
« A tout elle se prête et ne sait pas rougir, <br />
« Quand elle est bien gorgée elle no sait qu’agir. <br />
« Fréron le fit comprendre autrefois à Prud’homme ; <br />
« Ma plume, c’est un phare où resplendit un Homme.<br />
« Nourrissez-la de lard, d’or ou bien d’alcool, <br />
« Ses rayons au lointain embraseront le sol ! <br />
« Jamais vous n’aurez mieux pour un bon journaliste.<br />
« Si je perdais mon temps à réciter la liste <br />
« De tous les gazetiers qui l’ont eue à la main, <br />
« Vous seriez encor là pour m’écouter demain ! <br />
« Les uns sont devenus chefs d’une préfecture : <br />
« Est-il plus humbles fronts dans toute la nature ? <br />
« D’autres furent faits pairs, chambellans, sénateurs<br />
« Certains dans la Commune ont été dictateurs. <br />
« Les moins heureux enfin vont à l’Académie <br />
« Prouver que de tout temps la belle fut l’amie <br />
« Des prudents, des malins !… Les Dangeaux, les Conrarts <br />
« Rien qu’à nourrir ma plume, obtinrent des égards. <br />
« De l’immortel Aignan, l’immortelle faconde<br />
« Sut faire couronner la tête si féconde. <br />
« Je ne connais personne, aussi niais qu’il soit, <br />
« Qui n’ait fait son chemin avec elle à son doigt.<br />
« Ne l’assimilez pas à cette plume bête <br />
« Qui mène à l’hôpital l’insouciant poète. » <br />
Le crieur achevait, et pendant son discours <br />
Les enchères montaient, montaient, montaient toujours. <br />
— « A dix francs, trente, cent, nous dépasserons mille,<br />
« A toi mon vieux là-bas, à toi mon bon Zoïle ! <br />
« Cette plume pourtant, dis-moi, te convient bien ?<br />
« Mille, on a dit deux mille, allons, cela n’est rien ! <br />
« Trois, quatre, cinq, huit, dix, à dix mille ma plume, <br />
« Douze, seize, dix-neuf, bravo ! l’enchère fume ! <br />
« Vingt, trente, trente-sept, trente-huit, trente-neuf, <br />
« Poussez, poussez toujours ! Cette plume est un oeuf, <br />
« Je vous l’ai déjà dit, qui contient la fortune. <br />
« Examinez-la bien, elle n’est pas commune, <br />
« On a dit quatre-vingts, bien nous touchons à cent.<br />
« Qui donc a dit cent mille ? » Et d’un tudesque accent,<br />
Un monsieur habillé tout de noir, à la porte, <br />
Cria : — « Moi j’ai dit cent; donnez que je l’emporte. »<br />
Le crieur ajouta, visiblement fâché ; <br />
— « Courage, je n’ai pas rien encore lâché ; <br />
« Laisserez-vous partir une plume française ? <br />
« Poussez, poussez toujours, qu’on la voie à son aise, <br />
« A cent mille ma plume ! on a dit à cent un ? <br />
« Non ? une ! deux ! trois fois ! Au descendant du Hun<br />
« Adjugée !… » Aussitôt je m’en fuis, je l’avoue, <br />
Tête basse et le feu me dévorant la joue, <br />
Ému, je dis : — « Qui donc a poussé jusqu’à cent ? »<br />
— « Parbleu ! mais c’est Arnim, répondit un passant. »
<br />
<br />
3 octobre 1873</p>
<p><strong>Théodore Vibert</strong> <em>Rimes d’un vrai libre-penseur</em>. - Paris, E. Leroux, 1876, pp. 24-28.</p>http://www.alamblog.com/index.php?post/2009/07/30/Plume-%C3%A0-vendre-%28Th%C3%A9odore-Vibert%29#comment-formhttp://www.alamblog.com/index.php?feed/atom/comments/1075