L'Alamblog - Mot-clé - Jean Giraudoux2024-03-28T18:27:22+01:00Le Préfet maritimeurn:md5:891a4437ffb56035bcdd99ce6fc8c9f0DotclearLettre d'un esquimau sur le génie (1923)urn:md5:078950d6f219563bd6a719d55041f0932015-01-15T06:09:00+01:002015-01-17T20:03:04+01:00Le Préfet maritimePlouf !André GideEsprit parisienFrancis PicabiaGénieJean CocteauJean GiraudouxMaurice YvainPablo PicassoRaymond RadiguetVan Dongen <p><img src="http://www.alamblog.com/public/.acadImag_m.jpg" alt="acadImag.jpg" style="display:block; margin:0 auto;" title="acadImag.jpg, janv. 2015" /><br />
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<strong>Lettres d'un Esquimau</strong><br />
<strong>Le Génie</strong><br />
<br />
Nanouk à son ami Rajek<br />
à Christiahshaab (Grœnland)<br />
<br />
C'est une étrange manie, mon cher Rajek, que celle qui pousse les habitants de Paris, se piquant d'art, à vouloir découvrir du génie là où personne ne s'aviserait — je ne dis pas de l'y chercher — mais seulement de croire qu'il peut s'y en trouver une parcelle. On n'entend parler dans cette ville que de « chefs-d œuvre », suscité le mot latin « super » pour précéder le mot de « livres admirables », de « spectacles incomparables », de « productions géniales ». On a même ressuscité le mot latin « super » pour précéder le mot
talent, comme si les expressions françaises ne suffisaient point ; il n'y a plus que des * super-talents ».<br />
Jusqu'à hier, je me bornais à hausser les épaules, jugeant au moins excessives tant de louanges. A seule fin d'être bien sûr que mon opinion n'était point déraisonnable, j'ai ouvert aujourd'hui un dictionnaire français pour y chercher une définition exacte du mot « génie » et j'ai lu : « le plus haut degré auquel puissent arriver les facultés humaines ». Alors j'ai refermé le livre si utile de M. Larousse et j'ai compris plus fort...<br />
j'ai souri en songeant qu'Eschyle, Sophocle, Euripide Shakespeare, Corneille, Racine, Molière, Raphaël, Rubens, Rembrandt, Mozart, Schumann, Beethoven,
Wagner (je limite volontairement une énumération fastidieuse). ne sont au dire des manuels que de grands poètes, de grands peintres ou de grands musiciens quand le moindre de nos barbouilleurs de toile, donneurs de sérénades ou marchands d'opérettes, en 1923, est <em>très grand</em>...<br />
Quel dommage que de tels artistes s'obstinent à ne pas vouloir réjouir nos yeux avec une « Vierge à l'Enfant » ou une « Kermesse ». à ne pas charmer nos oreilles avec une « Sonate Kreutzer » ou un « Tristan et Yseult », ou même à accoucher d'un « Prométhée », d'une « Andromaque » d'un « Macbeth », d'un « Polyeucte » d'une « Athalie ou d'un « Misanthrope » ! Et qu'ils sont coupables puisqu'ils ont tous du génie ; du moins leurs contemporains s'affirment ; quant à eux, ils le laissent dire ou écrire, dût leur modestie en souffrir. Quel crime surtout ne commettent-ils pas quand ils s'obstinent à ne faire éditer, jouer, ou accrocher contre les murs de Salons que des œuvres médiocres alors qu'ils conservent sans nul doute dans leurs cartons avec l'avarice d'Harpagon des trésors inestimables.<br />
Que serait-ce, mon cher Rajek, si tous ces gens dont la publicité envahit les colonnes des journaux n'étaient que des crétins comme toi et moi ? Car je réfléchis (et cela m'amuse encore), qu'après avoir prodigué dans toutes les gazettes, à ces montreurs d'ours, des épithètes qui semblaient réservées à des œuvres éternelles, il faudra bien trouver autre chose pour ameuter les
badauds et je ne doute pas, que la même exagération aidant, nous ne lisions un de ces jours dans une Revue parisienne : « M. Tartempion, le jeune écrivain génial, âgé de 13 ans, qui nous a donné déjà quatre livres glorieux dont le succès a été mondial, vient de publier un nouveau roman : «A l'Ombre des Bégonias ». C'est, décrite dans un style à peu près correct, une aventure
amoureuse assez banale, mais sur 300 pages une trentaine sont intéressantes. Il est possible que ce roman qui coûte fi fr. 75. mais ne vaut pas plus d'un franc 50 soit lu par quelques milliers de lecteurs. L'éditeur compte sur une vente de 381 exemplaires ».<br />
Et ce seront la plus belle critique et le plus bel éloge, puisque ce sera la. Vérité.<br />
Au fond, je crois avoir trouvé, Rajek, la vraie raison de ce qui paraissait d'abord une erreur de langage ; le coupable, en l'aventure, est ce mauvais diable qu'on nomme « l'esprit parisien » et qui exerce son ironie cruelle aux dépens de tant de célébrités contemporaines.<br />
« Le Génie » affirme le bon sens de M. Larousse est le plus haut degré que puissent atteindre les facultés humaines. Ainsi donc, puisque MM. Jean Cocteau, Radiguet, Sarment, Giraudoux, André Gide, Van Dongen, Picasso, Picabia, — en musique MM. Christine et Maurice Yvain ont tous du génie, il faut en conclure — et cela avec leurs admirateurs — qu'ils sont arrivés
au plus haut degré de leurs facultés.<br />
Cette constatation ne manque pas d'une certaine saveur quand on songe aux différentes productions des personnes que je viens de te nommer et dont je t'envoie, mon cher ami, quelques exemplaires par le même courrier. Tu jugeras certainement avec moi qu'il serait préférable que dans leur propre intérêt, ces Messieurs n'eussent pas encore de génie, puisque cela laisserait entendre que leurs facultés artistiques peuvent encore se développer.<br />
De notre temps, l'on était plus modeste à Christianshaab.<br />
Je frotte mon nez contre le tien.<br />
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Nanouk<br />
(Ex-super-vedette des Cinémas parisiens).<br />
P. c. conforme : René Girardet<br />
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<em>Floréal</em>, 29 décembre 1923<br />
<br /></p>
<p>Illustration de couverture : détail d'une photographie de Jean-Marie Marcel (L'Académie imaginaire, Plon, 1954).<br /></p>http://www.alamblog.com/index.php?post/2015/01/12/Lettre-d-un-esquimau-sur-le-g%C3%A9nie-%281923%29#comment-formhttp://www.alamblog.com/index.php?feed/atom/comments/2610La Guerre n'a pas eu de poète... (Victor Snell)urn:md5:d6be894ba00c5a3af2dfe1ab361ec9af2013-11-12T15:08:00+01:002013-11-12T15:08:00+01:00Le Préfet maritimePlouf !1914-1918André BirabeauAndré PézardEdmond RostandIWWJean GiraudouxJean RichepinJean-José FrappaLittérature de guerreLéon WerthMarcel BergerMarcel MartinetMaurice LevelPaul LintierPaul Vaillant-CouturierRaymond LefebvreRoland DorgelèsÉmile Zavie <p><img src="http://www.alamblog.com/public/.Soli1_m.jpg" alt="Soli1.jpg" style="display:block; margin:0 auto;" title="Soli1.jpg, mai 2013" /><br />
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<strong>La guerre n'a pas eu de poète</strong><br /><strong>Elle a révélé des prosateurs</strong><br />
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On attendait de la guerre un poète, et elle ne nous en a pas donné. Les niaises acrobaties de M. Edmond Rostand ont semblé pénibles à ceux-là mêmes qui eussent voulu leur être le plus indulgent, et c'est une preuve du néant de la poésie guerrière qu'on ait songé à l'intégrer dans ces pauvretés juxtaposées aux gongorismes de M. Jean Richepin. Sans doute, si la censure disparaît un jour et, avec elle, l'hypocrisie qui règne encore dans les journaux et les revues, sans doute, il faudra bien qu'on parle des beaux poèmes de Marcel Martinet et de ces chants jaillis du cœur qui n'ont pu être imprimés qu'à l'étranger. mais, pour l'instant, force est bien de constater l'insignifiance de la production poétique qui porte le poids de s'être faite officielle et la honte d'avoir été mercantile.<br />
Il n'en est pas de même dans le compartiment prose et roman. Et, peu à peu, en ajoutant un livre « très bien » à un autre livre « très bien », on s'aperçoit qu'il est encore relativement facile de mettre bout à bout une dizaine de titres d'ouvrages de premier ordre, encore que de genres différents, et qu'on peut lire sans rougir de honte ou étouffer de colère.<br />
A côté d'œuvres qui priment toutes les autres comme <em>le Feu</em>, la partie centrale de <em>Clarté</em> et les magnifiques <em>Croix-de-Bois</em>, de Roland Dorgelès, n'y a-t-il pas l'âpre et implacable <em>Clavel soldat</em>, de Léon Werth, trop polémiste peut-être, mais si justement indigné de l'absence ou de l'impuissance de la politique populaire ? N'y a-t-il pas le sarcastique <em>Sacrifice d'Abraham</em>, de Raymond Lefebvre ? la Semaine de vie heureuse, publiée en volume sous le titre beaucoup moins bon de <em>Une permission de détente</em>, de P(aul) Vaillant-Couturier ? la <em>Guerre des soldats</em>, qui réunit sur sa couverture les noms de ces deux jeunes écrivains ? Et le très pathétique <em>Nous autres à Vauquois</em>, d'André Pézard ? Et encore cette gageure littéraire <em>Lectures pour une ombre</em>, de Jean Giraudoux ?<br />
Qu'on cite encore <em>Ma Pièce</em>, de Paul Lintier, prototype du témoignage » de guerre, et aussi <em>La Retraite</em>, d’Émile Zavie, et <em>Jean Darboise, aussi</em>, de Marcel Berger (qu'un rond de-cuir de l'arrière fit punir disciplinairement pour avoir dit la vérité) et, dans le genre ironique, <em>Vivre pour la Patrie</em>, de Maurice Level, <em>Les Vieux Bergers</em>, de Jean-José Frappa et le <em>Guerrier posthume</em>, d'André Birabeau. et on devra bien reconnaître que, sur des modes différents, la guerre a pu être l'occasion de productions non négligeables.<br />
Quelle sera leur influence sur la littérature de tout à l'heure, on ne se risquera pas à le prophétiser ici. Mais elles semblent bien préparer une période qui réduira à son minimum d'importance la chose guerrière et exaltera l'idéalisme et l' « utopie » de fraternité internationale. La guerre de 70 avait créé — et c'était naturel — une littérature de pleurnicherie dont bien vite on s'était affranchi sous l'impulsion naturaliste. Peut-être les Allemands vont-ils, pour se consoler, tomber dans ce travers. Mais il est plus probable qu'ils cherchent au contraire un dérivatif et une compensation dans une idéalisation générale et généreuse, en opposition au réalisme brutal de leurs militaristes et des nôtres : car il est manifeste; certain, inéluctable, que nous aurons les nôtres. Dans ce cas, la pensée française et la jeune littérature, née de la guerre contre la guerre, recevront de ce côté une impulsion et bénéficieront d'une consécration dont on ne peut, à l'avance, que se féliciter.<br />
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<strong>Victor Snell</strong><br />
<br /></p>
<p><em>Floréal</em>, août 1919, numéro-programme, p. (8).</p>http://www.alamblog.com/index.php?post/2013/05/06/La-Guerre-n-a-pas-eu-de-po%C3%A8te...-%28Victor-Snell%29#comment-formhttp://www.alamblog.com/index.php?feed/atom/comments/2147Une génération d'écrivains (André Lamandé)urn:md5:b61463378bdf9fa1b441797a04d9e17d2013-05-31T02:39:00+02:002013-06-04T09:32:58+02:00Le Préfet maritimeLes Vrais Coupe-Faim1914-1918Alexandre ArnouxAndré FoucaultAndré LamandéFrançois DuhourcauGaston RiouGeorges DuhamelGeorges GaudyGeorges GirardHenri BarbusseHenri MalherbeHenri StrentzHenry ChamplyJean GiraudouxJean Valmy-BaysseJoseph JolinonLouis-Jean FinotLéon BocquetMaurice GenevoixPaul MorandPierre BonardiPierre ParafRaymond EscholierRené MaranRoland DorgelèsWWI<p><img src="http://www.alamblog.com/public/Andr_Lamand.jpg" alt="Andr_Lamand.jpg" style="display:block; margin:0 auto;" title="Andr_Lamand.jpg, mai 2013" /><br />
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<strong>Une génération d'écrivains</strong><br />
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Voici quelque six mois, deux professeurs réputés pour leur probité et leur savoir terminèrent une <em>Histoire de la Littérature Française</em> jusqu'à nos jours. Tâche lourde ; œuvre consciencieuse. Les plus curieuses manifestations poétiques ou romanesques de ce temps y furent étudiées avec soin et soulignées avec une évidente sympathie. Dans ce tableau lumineux, une ombre pourtant. Une ombre douloureuse, fruit de l'oubli ou d'une prudente faiblesse, il n'importe. Le fait n'en est pas moins troublant et même scandaleux : les noms des écrivains vivants qui s'inspirent de la guerre sont absents de cette Histoire : ni Duhamel, ni Barbusse, ni Roland Dorgelès. Et quand elle cite Alexandre Arnoux, elle oublie, comme par hasard, qu'il est l'auteur du Cabaret, l'un des plus beaux livres inspirés par la dernière guerre.<br /></p> <p>D'autre part, feuilletez les revues, lisez certains critiques. Sans doute, parlent-ils, parfois, d’œuvres que les rouges ténèbres de la guerre enluminent tragiquement. Mais ils semblent les étudier comme à regret et rapidement, étonnés et déçus d'y trouver, non pas seulement l'ordinaire jeu des idées amoureuses ou paradoxales, mais encore toute la flamme et tout le limon dont notre époque est chargée. Aussi ces critiques jettent-ils, en passant, un nom à la curiosité du populaire, mais c'est tout. Aucun d'eux n'a essayé de faire une étude d'ensemble sur les Écrivains nés de la guerre, et de dégager, en une vigoureuse synthèse, l'esprit nouveau que ces écrivains apportent en littérature.<br /></p>
<p>D'aucuns souriront, sceptiques. Cet esprit nouveau existe-t-il ? On s'est habitué à ne distinguer dans la littérature moderne que trois grands courants : ici, l'aventure l'emporte ; là, l'esprit sportif ; plus loin, l'impressionnisme que MM. Jean Giraudoux et Paul Morand ont illustré de romans de valeur. Pour le reste, qui donc en parle ? Qui s'occupe de découvrir ou de pressentir d'autres œuvres ? Sans doute, un vent de folie collective a ravagé la face de l'Europe et plus de dix millions de jeunes hommes sont morts. Mais, la peur passée, est-ce crue cela compte ?' Pourquoi la guerre — hiatus énorme entre deux époques — aurait-elle une influence sur la pensée contemporaine et sur les écrivains ? Et l'on a redit, avec une joie un peu sadique, ce mot ridicule : « Montrez-nous donc les chefs-d’œuvre littéraires nés de la guerre ? » <br /></p>
<p>Or, des œuvres — n'employons pas le mot pompeux chefs-d’œuvre — des œuvres fortes existent. Et nous pensons que le moment est venu de nous pencher sur la pensée des morts conservée vivante par leurs frères d'armes plus heureux, et qui savent écrire.<br /></p>
<p>Au début de 1919, j'ai eu le désir d'interroger mes camarades écrivains-soldats, qui revenaient du front, et de leur demander quelle serait, à leur avis, la littérature chez les écrivains qui avaient fait la guerre. Je leur avais posé trois questions conçues à peu près en ces termes :<br />
1. La Littérature de demain, chez les écrivains qui ont fait la guerre, sera-t-elle une littérature de l'art pour l'art ou une littérature d'action ? <br />
2. Dans ce dernier cas, quelles seront ses tendances ? Pacifistes ou guerrières ? Nationales ou plus largement humaines ? <br />
3. Croyez-vous à une transformation du style ? Dans quel sens ?<br /></p>
<p>Les réponses nombreuses à cette enquête parurent dans les numéros d'avril et de mai 1919 de <em>La Renaissance</em>. Ce sont des confessions sincères de soi-même et leur ensemble forme une émouvante juxtaposition d'âmes volontairement mises à nu. En rapprochant ces confessions, en les complétant les unes par les autres, on pouvait avoir, dès cette époque, une vision claire des aspirations des anciens combattants, non moins qu'un pressentiment, un avertissement précieux quant aux destinées spirituelles de notre pays.<br /></p>
<p>Mettons donc en lumière, en nous reportant plus de cinq ans en arrière, quels traits essentiels devaient marquer, d'après nos confrères, « la littérature de demain », c'est-à-dire celle d'aujourd'hui.<br /></p>
<p>Déjà ils affirmaient que la littérature d'après guerre serait une littérature d'action. Ils. n'entendaient point par là que les écrivains dussent particulièrement s'adonner à la politique, ou à la polémique, ou au journalisme militant. Ils soulignaient simplement que, pour avoir pratiqué un commerce familier avec la mort, et pour avoir connu le don de soi — non un don problématique mais, catégorique, non un don accidentel mais quotidien — ces écrivains avaient acquis à un point extrême le sens du réel, un ardent appétit de vie et l'amour de la
vérité.<br /></p>
<p>Tous les écrivains cjui répondirent à l'enquête furent unanimes à prévoir une littérature « à la fois nationale et plus largement humaine ». Tous se réclamaient de la tradition, des qualités foncières de la race qu'ils avaient retrouvées en guerre et que la paix victorieuse épanouirait. En un mot, il apparaissait nettement que la guerre avait rendu le Français à lui-même, avec ses caractères essentiels, son esprit amoureux de réalité et d'idéal, de tradition et de progrès, et que, dans la mesure même où il se « renationalisait », l'esprit français devenait plus largement humain.<br /></p>
<p>Naturellement, le style devait se ressentir de cette renaissance, le style qui est « de l'homme même » mais aussi, et avec non moins d'exactitude, de la race même.<br /></p>
<p>En retrouvant une âme plus française, il semblait que les écrivains dussent revenir, du même coup, au goût de l'ordre et de la clarté. Cet amour de la vérité, ce sens du réel que nous avons notés tout à l'heure, étaient un gage de style direct et sobre.<br /></p>
<p>De ces promesses inscrites, voici déjà six années, en de belles matinées de printemps, que reste-t-il aujourd'hui ?<br /></p>
<p>Les lendemains de l'armistice furent emplis d'étonnement. <br /></p>
<p>« Ils vont revenir, disait-on. Qu'on leur laisse la place libre, ils ont des droits sur nous. Qu'ils les prennent, ces droits. Qu'ils agissent. » Sentiment bien naturel. On pensait que les soldats apparaîtraient avec de hautaines figures de justiciers, sans peur, sans hésitation. N'avaient-ils pas reconduit, à coup de savate, jusqu'à la frontière, l'ennemi et la mort ? Nous-mêmes, soulevés d'enthousiasme, nous jurions de rebâtir un monde à l'image de notre rêve et de celui de nos camarades morts. <br /></p>
<p>Cette orgueilleuse ivresse dura peu. Les cloches, dites de la victoire, n'avaient pas encore battu leur dernier coup, qu'elle était dissipée. Sur nos cerveaux et sur nos reins s'appesantissait la fatigue accumulée de cinq années de splendeur et de misère.<br /></p>
<p>Je ne redirai pas, ici, la mélancolie de cette rentrée. Il fallait vivre, n'est-ce pas, et nous l'avions désappris. Cinq années de silence, de vagabondage et de hasard, nous rendaient peu habiles dans les luttes de l'existence normale retrouvée. Déjà sous la cuirasse de ceux qu'on appelait pompeusement « des héros et des saints », perçait le pauvre homme. Tout était ordonné, dans la ville, pour contraindre aux vieux jougs nos esprits harassés. Et nous avons d'abord repris le collier des travaux quotidiens et tourné la meule des habitudes anciennes. L'un s'acagnardait dans sa famille, l'autre dans son journal ou son usine, un autre chauffait ses blessures au soleil du Midi. Les « lions » étaient prêts pour les croix de l'indifférence et de l'oubli.<br /></p>
<p>« Où sont les chefs-d’œuvre nés de la guerre ? Quelles voix ont exprimé l'âme des combattants ? »<br /></p>
<p>En vérité, quelques beaux livres, miroirs multiples et vrais de la grande tragédie, retinrent l'attention du public ou des lettrés : <em>le Feu</em>, d'Henri Barbusse ; <em>la Flamme au poing</em>, d'Henri Malherbe ; <em>les Croix de Bois</em>, de Roland Dorgelès ; <em>le Cabaret</em>, d'Alexandre Arnoux ; <em>la Vie des Martyrs</em>, de Georges Duhamel. Puis vinrent les récits pathétiques et sobres de Maurice Genevoix ; <em>l'Agonie du Mont-Renaud</em>, de Georges Gaudy ; les poèmes d'Henry-Jacques : <em>Nous, de la Guerre</em>, la <em>Symphonie Héroïque</em> ; et enfin ces deux feuillets arrachés au livre rouge et présentés avec un art émouvant : <em>le Sel de la Terre</em>, de Raymond Escholier et <em>les Vainqueurs</em>, de Georges Girard. <br /></p>
<p>Mais ces œuvres n'étaient pas et ne pouvaient être encore l'expression des expériences mûries et des volontés des combattants. Elles étaient, avant tout, la vision palpitante de la guerre par ceux qui l'avaient vécue.<br />
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<br />***<br />
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D'ailleurs, le bruit des affaires, les rumeurs de la Bourse et le rythme heurté des jazz dominèrent vite ces voix isolées. Et le public, docile à ses maîtres de l'heure, chercha, dès l'armistice, à s'évader des souvenirs tragiques et des douloureuses réalités. Son esprit, nourri quotidiennement, depuis plusieurs années, d'exploits héroïques, voulut une pâture qui lui donnât encore des émotions intenses, mais dans un cadre aimable. Et les romans d'aventure vinrent, qui comblèrent ses vœux, enchantèrent son esprit et canalisèrent ses forcés d'enthousiasme vers des Amériques fabuleuses, des Atlantides en amour, des steppes en révolution. Œuvres charmantes, au demeurant, fort ingénieuses et qui, portées sur les ailes de la fantaisie, nous ont découvert de nouveaux horizons.
<br />
Pourtant des âmes inquiètes réclamaient autre chose.
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C'est que la guerre — déjà oubliée — subsiste toujours. Seulement, elle a changé de visage, de tactique et de maîtres. Aux stratèges ont succédé les financiers, ces grands internationaux. De quoi demain sera-t-il fait ? Malgré les rameaux d'oliviers tendus aux Conférences qui, tous les six mois, se succèdent et se ressemblent par leur néant, un frémissement d'armes court en mille points du globe. L'Europe est une poudrière. Une étincelle peut suffire. Et l'on entend gronder, avec angoisse, la catastrophe qui vient et qui, si on ne l'arrête à temps, roulera dans les ténèbres de la barbarie vainqueurs, vaincus et la civilisation occidentale tout entière. D'autre part, dans notre pays, il semble que l'on veuille nous ramener aux temps lamentables où les Français ne s'aimaient pas.
<br />
Est-ce donc l'heure qui convient pour chanter de fades romances, pleurer sur des douleurs légères, ou fignoler avec scepticisme d'élégantes histoires d'adultères ? Notre grand Anatole France est mort. Le ciment sur la pierre de son tombeau est à peine séché, et voyez comme il paraît déjà loin de nous. Entre lui et notre époque s'est creusé l'immense gouffre de la guerre. Il était de l'autre bord, encore qu'il eût touché au nôtre pour s'éteindre. Nous ne sentons plus comme lui. Ses grâces sont charmantes mais surannées. Son scepticisme, qui fit la dilection de notre jeunesse, nous agace aujourd'hui. Il nous faut retrouver une foi ou mourir. Et, de toutes nos forces, nous voulons vivre.<br />
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Or, cet appétit d'une vie active et féconde, ce souci pour les problèmes de l'heure présente, nous lès trouvons enfin dans certaines œuvres d'écrivains dont le cœur fut incendié par la guerre. Et ces œuvres illustrent de façon étonnante les résultats de l'enquête de 1919. <br />
<br />
Certes, ces écrivains, lassés comme tous leurs camarades, s'abandonnèrent d'abord au mol oreiller de la confiance. Ils firent de leur résignation une grandeur et de leur patience — qui n'était que fatigue — une vertu. Mais le lent équilibre de leurs forces physiques et morales s'étant refait en eux, le flot d'une vie intérieure nouvelle soulève leurs âmes. Les cinq années vécues dans le feu, la boue et le sang redeviennent pour eux la réalité vivante et immédiate, qui doit commander toute leur pensée et toute leur vie. Ils comprennent que le monde ne peut être vu, jugé et conduit qu'à la lumière de ces cinq années, maîtresses — qu'on le veuille ou non — de l'avenir de l'Europe. Et ils écrivent, non pour le plaisir ou la gloire, non dans le dessein de flatter l'opinion, mais pour agir, pour continuer la pensée des morts, chacun de son côté, en tirailleur, selon ses forces et son tempérament particulier.<br /></p>
<p>Aussi voyez quelle diversité dans la production de ces premières œuvres où palpite l'âme de l'après-guerre. Diversité de sujets. Diversité de ton.<br />
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Ici, avec une bonhomie féroce, M. Antonin Seulh flagelle les vices de notre époque et la médiocrité de nos hommes politiques dans sa <em>Victoire de Patati et Patata</em> ; M. Valmy-Baysse, dans <em>le Retour d'Ulysse</em>, conte, sur un ton goguenard en apparence, la douloureuse rentrée d'un poilu dans son foyer où il fait figure d'intrus et de gêneur. Puis, M. Roland Dorgelès brosse, à la Zola, la fresque grouillante des régions du Nord et de l'Est, envahies, hier, par les Allemands, et rongées, aujourd'hui, par la plaie d'une immigration sans discernement et d'un mercantilisme éhonté. <em>Le Réveil des Morts</em> de M. Roland Dorgelès forme ainsi comme le tableau central d'un triptyque : à sa droite, se dresse le brûlant et superbe <em>Nécropolis</em>, d'Henry Champly ; à sa gauche, le <em>Fardeau des Jours</em>, de Léon Bocquet, où chaque page déborde de douloureuse tendresse. Émouvantes de pitié, ou ironiques, ou soulevées d'indignation, mais sincères, directes, humaines, d'autres œuvres reflètent plus particulièrement les angoisses de ces temps et les espoirs de l'avenir. Réunissons-les en un faisceau fraternel. Leurs auteurs peuvent bien ne point s'inspirer des mêmes doctrines philosophiques ou politiques, mais, refondues dans le même creuset, — celui de la guerre — les âmes de ces hommes, jeunes encore ont une même résonance : Louis-Jean Finot : le <em>Héros Voluptueux</em> ; François Duhourcau : la <em>Révolte des Morts</em> ; Pierre Bonardi : la <em>Mer et le Maquis</em> ; Jolinon : la <em>Tête Brûlée</em> ; Gaston Riou : <em>Ellen et Jean</em> ; René Maran : le <em>Petit Roi de Chimérie</em> ; André Foucault : le <em>Bain de Sang</em> ; Pierre Paraf : <em>Plus près de Toi</em>.<br />
<br />
Quelles sont les tendances de ces écrivains ? De quelle philosophie éclairent-ils leurs oeuvres ? Quelles critiques élèvent-ils contre ceux qui ayant reçu T'a victoire dans leurs mains l'ont laissée s'effriter ? Apportent-ils un levain nouveau ? Tendent-ils vers les vendanges futures des outres neuves ?<br />
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Nous nous réservons de répondre, un jour, à ces questions. Aujourd'hui, nous n'avons voulu que réunir ces noms pour donner confiance aux âmes inquiètes de l'avenir de la pensée française, et aussi pour révéler à ces écrivains leur propre force. Une précoce maturité a comblé leur jeunesse, et leur esprit finement français a su devenir plus largement humain. S'ils savent se garder des mesquines jalousies non moins que des puissances d'argent, ils peuvent, demain, former une phalange glorieuse.<br />
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André Lamandé<br />
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<em>France et Monde</em>. "La vie intellectuelle", n° 115, 1er mars 1925, p. 317-324.</p>http://www.alamblog.com/index.php?post/2012/01/03/Une-g%C3%A9n%C3%A9ration-d-%C3%A9crivains-%28Andr%C3%A9-Lamand%C3%A9%29#comment-formhttp://www.alamblog.com/index.php?feed/atom/comments/1783le XXe siècle de Benjamin Crémieuxurn:md5:b92cdfc9440efbea06862d07e06063c52011-01-05T01:55:00+01:002014-05-13T13:11:08+02:00Le Préfet maritimeDernier reçu Premier serviBenjamin CrémieuxEdmond JalouxHenri DuvernoisHenri PourratJean et Jérôme TharaudJean GiraudouxJean PaulhanJules RomainsMarcel ProustPaul MorandPierre BenoitPierre Drieu La RochellePierre HampPierre Mac OrlanValery Larbaud <p><img src="http://www.alamblog.com/public/Cremieux.jpg" alt="Cremieux.jpg" style="display:block; margin:0 auto;" title="Cremieux.jpg, déc. 2010" /><br />
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Remarquable esprit de son temps, <strong>Benjamin Crémieux</strong> (1888-1944) reste un auteur qu'on ne lit plus qu'exceptionnellement. C'est dommage, même s'il reste accessible en librairie dans ses traductions de l'italien (Svevo, Pirandello). A l'instar de Jean-Richard Bloch par exemple, il fait partie de la cohorte des essayistes de prime importance qui, s'ils ont compté en leur temps, ont fini par se ranger humblement dans le second rayon.<br />Ces princes de la critique, auxquels on doit associer Jaloux (Edmond) ou Pia (Pascal), afin de ne pas oublier ces deux derniers quand on a tenté de nous faire prendre Frédéric Lefèvre et Maurice Martin du Gard pour des lanternes, bref, ces princes de la critique étaient d'un temps où le geste critique, justement, valait pour ses principes de clairvoyance, d'appréciation, de culture générale et de maturation. Toutes choses qui ont disparu de la presse papetière où l'on empile les papiers comme le loufiat les soucoupes. Et avec la même grâce.<br />
La réédition du <em>XXe Siècle</em> de Crémieux est donc une très bonne chose : on y redécouvre ce qu'est prendre le temps de se cultiver, de lire, puis de réfléchir, et enfin de s'exprimer clairement. Bien sûr, on regrette que Crémieux n'ait pas eu le souci de mettre en évidence des auteurs moins "téléphonés", mais il faisait avec son temps, contingence imparable, comme nous faisons avec le nôtre - à ce propos, on ne devrait pas écrire en 2010 que Luc Durtain ou Pierre Hamp sont des auteurs méconnus, tout de même...<br />
Son recueil d'articles de 1927, ici augmentés de deux textes sur Edmond Jaloux, "le moins attardé des critiques" selon Gide, et les frères Tharaud, ces "stylistes", témoigne d'un modernisme qui nous est devenu poussiéreux, certes, et fort gallimardien, certes itou, mais <em>XX Siècle</em> sert désormais à éclairer la figure de Benjamin Crémieux (nette préface de Catherine Helbert) et l'histoire de la réception de quelques grands noms et de certaines gloires déclinantes des lettres françaises du siècle dernier. De plus, au petit jeu des absents, il nous invite à jouer...<br />
Au sommaire de cette nouvelle édition : Marce Proust, Jean Giraudoux, Henri Duvernois, Pierre Hamp, Valery Larbaud, Jules Romains, Pierre Benoit, Pierre Mac Orlan, Paul Morand, Pierre Drieu La Rochelle, Jean Paulhan, Luc Durtain, Henri Pourrat, Jerôme et Jean Tharaud, Edmond Jaloux.<br />
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<strong>Benjamin Crémieux</strong> <em>XXe siècle</em>. Edition augmentée. Textes établis, présentés et annotés par Catherine Helbert. - Gallimard, 2010, coll. "Cahiers de la NRf", 304 pages, 26,50 euros</p>http://www.alamblog.com/index.php?post/2010/12/25/Jules-Romains-par-Benjamin-Cr%C3%A9mieux#comment-formhttp://www.alamblog.com/index.php?feed/atom/comments/1494