Il faut toujours avoir un petit Proust chez soi

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Un Proust en cache-t-il un autre ?
Si l'on avait envie d'éviter Proust et de lire, allons, Céline Minard ou Jeanette Winterson, disons, ou bien encore Ben Metcalf, tiens, oui, voilà, La Contrée de Ben Metcalf ou bien encore Billy le Menteur de Keith Waterhouse qui vient de paraître aux éditions du Typhon, on serait éberlué un peu par le renouveau éditorial des fonds qui se joue sous nos yeux : un anniversaire suffit à ce que Proust envahisse les libraires comme un seul homme. Pourtant, qu'ils sont nombreux... les proustiens....
Pour ne pas nous lancer dans une exégèse fastidieuse et sans originalité sur le génie propre de notre Marcel national, quelques pistes pour les amateurs, le tout au format de poche ou presque :

Tout d'abord un essai inédit de Pierre Klossowski, sobrement intitulé Sur Proust. Inattendu et précieux. Klossowksi avait relu la Recherche à l'instigation de Michel Butor qui préparait un documentaire sur cette oeuvre pour la télévision intitulé "Proust et les sens". Evidemment, Klossowksi y trouva l'occasion d'y rencontrer l'extase.

Proust a donné une version occidentale du bouddhisme que Nietzsche redoutait de voir s'établir en Europe. En plein XXe siècle, dans cette vie parisienne de la précédente guerre et après-guerre, avec les moyens et les normes de diverses traditions de la narration française, Proust a édifié un plateau du Tibet, a creusé dans la conscience occidentale une cité souterraine de Lhassa, a développé d'une manière des plus secrètes une discipline du dévoilement progressif des différentes toiles de fond, des différents écrans qui font obstruction à une vision dernière '(une sorte de livre des morts tibétains) ; cette vision extatique dont depuis toujours, depuis qu les hommes lisent ou écoutent ou contemplent des simulacres, le lecteur n'a qu'une appréhension confuse, puisque la plupart ne lisent que pour se divertir ou se renseignent et ainsi se détournent du vrai phénomène et somme toute le méprisent et aujourd'hui ne s'y livrent que pour tuer le temps, si ce n'est pour trouver le moyen de gagner du temps. Toutefois, "tibétain", Proust ne l'est évidemment pas au sens littéral d'un adepte occidental du bouddhisme, mais avec les moyens proprement occidentaux. (...)

Et Klossowksi de nous éclairer sur les voies "détournées" de Proust. Edité par Luc Lagarde, ce texte est passionnant.

Ensuite, poursuivons l'enquête avec le romancier Louis de Robert (1871-1937), l'auteur du Roman du malade (Fasquelle, 1911) qu'avait lauréé le Prix Femina en 1911 (1). Il nous raconte Comment débuta Marcel Proust puisque c'est vers lui que le jeune homme s'était tourné pour l'aider à publier son oeuvre. Les deux firent ce qu'ils purent, en vain et on connait la suite : un volume parut à compte d'auteur chez Grasset en 1913... Edité parfaitement par le musicologue Jérôme Bastianelli, cette nouvelle édition augmentée est un incontournable délicieux et vite dévoré. L'enthousiasme...

La partie copieuse de ce billet consacrée à l'exégèse proustienne revient naturellement à Christian Péchenard (1930-1996), de l'écurie la Table ronde, il faut le souligner parce qu'elle est particulièrement férue de prousteries (on le constatera ici où se retrouvent encore Michel Erman et Lorenza Foschini). Ces trois essais délicieux, Proust à Cabourg, Proust et son père et Proust et Céleste, comparés à des enquête du docteur Watson par Bernard Franck autrefois valent assurément le temps qu'on y passe. Ce sont les livres d'un lecteur de Proust aussi enthousiaste que spirituel, et l'on peut confesser qu'en ces pages on retrouvera le goût de la Recherche, et l'envie de s'y replonger. Le vade-mecum parfait.

Pour ne rien laisser au hasard, il faut signaler enfin que Claude Arnaud tente la défense de Cocteau dans sa postérité qui serait, selon l'essayiste, écrasée par Proust. Ce dernier aurait été injuste dans sa prise de distance avec Cocteau. On peut bien y croire, mais... Mais peut-on vraiment juger de ce que l'admiration de Proust pour le jeune Cocteau pourrait avoir d'incidence sur les créations ultérieures dudit Cocteau. Le XXe siècle a passé, il s'est éteint, ses lustres ont été mis au grenier, On vit aujourd'hui avec des ampoules basse consommation. L'esthétique a pris des plis aussi nets que les plissements hercyniens ont maltraité les sols du dévonien. Cocteau appartenait à un âge où on aimait encore se déguiser en duchesses et où on célébrait Bernard Buffet. Mais si. Il n'est pas certain que sa postérité ne poursuive encore sa lente mais inévitable chute, puisqu'il incarne désormais pour toujours cette abeille ouvrière à tricot d'Arlequin, il a tout fait pour ça. Et puis on est obligé de constater qu'en incarnant lui aussi l'artiste polyvalent Warhol a terminé ce que Proust "aurait" entrepris, l'effacement définitif que M. Jean Cocteau, aimé des mondaines d'un temps, délaissé des lecteurs du notre.



Pierre Klossowski Sur Proust. - Paris, Serge Safran, 144 pages, 15,40 €
Louis de Robert Comment débuta Marcel Proust. - L'Eveilleur, 136 pages, 9,50 €
Christian Péchenard Proust et les autres. - La Table ronde, "La Petite Vermillon", 640, 10,50 €
Claude Arnaud Proust contre Cocteau. - Paris, Arléa, 272 pages, 9 €

(1) voir aussi sa "suite naturelle" : Paroles d'un solitaire (A. Michel, 1924).

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