L'Alamblog

Mais oui, chères lectrices, chers lecteurs, je remets ça. A ceci près que je n'ai aucunement l'intention de vous forcer à ingurgiter les bibliographies d'Hector Talvart. Nous en aurions pour des décennies. Non, je vais simplement vous livrer, à votre grand dam probablement, mais après tout, je m'en fous, les proses de cet homme singulier.
Sachez tout d'abord qu'Hector Talvart fonda en 1922, et de son propre chef, une publication périodique intitulée La Fiche bibliographique française (certaines livraisons étaient toujours disponibles dans les années 70), tandis que Joseph Place fondait de son côté, à Vichy, la Chronique des lettres françaises. Ces deux-là étaient faits pour s'entendre : la mise en commun de leurs travaux conduira à la publication de l'inestimable Bibliographie des auteurs modernes de langue française à partir de 1928. Les malins savent de quoi il retourne (certains volumes sont toujours disponibles auprès des éditions Jean-Michel Place, dirigée par le descendant de Joseph). Trève de circonlocutions : Hector Talvart, directeur de l'hebdomadaire L'Atlantique, collaborateur de Vrai et des Nouvelles littéraires, fut aussi — et c'est aujourd'hui ce qui nous occupe — le rédacteur et seul maître à bord d'une publication délicieuse et roborative intitulée Dits et contre-dits d'un homme d'aujourd'hui (1932-1934).
Afin d'éclairer cet homme de qualité, le Préfet maritime a décidé de vous livrer quelques-unes de ses bonnes pages, irrégulièrement, mais pour la bonne cause.
Il serait même agréable qu'une réédition complète voit le jour : on se rendrait compte que Talvart, digne disciple de Remy de Gourmont, en avait dans le crâne et au bout du calame.

Proses sans titre

Ce n'est pas tant de respect que certaines femmes ont besoin que d'un respectueux manque de respect.

S'il arrive à un imbécile de rencontrer une idée juste, il est rare qu'il lui donne une portée juste.

Le ridicule ne tue que ce qui n'a pas assez de force pour le défier.

L'inconvénient des gens qu'on dit "bien informés", c'est qu'ils ne le sont, en général, que sur des choses insignifiantes.

A certains le bonheur n'a manqué que parce qu'ils ont eu la liberté et les moyens de se faire un bonheur à leur guise. Bien plus de gens qu'on ne pense sont redevables à des règles, à des habitudes, à des contraintes qu'ils ont parfois maudites d'avoir pu contenter les profondes aspirations de leur être qui les rendent heureux. Le nombre est infirme de ceux qui demeurent capables avec les ressources dont ils disposent et la facilité qui leur est laissée de se constituer un boheur réel qui vaille vraiment et qui dure. Je ne crois pas que le nombre en soit plus élevé que celui des gens susceptibles de réaliser un chef-d'oeuvre avec une plume et de l'encre, un pinceau et de la couleur.

Un moyen de réussite qui manque à l'hypocrisie habituellement, c'est d'être suffisamment hypocrite, de l'être assez habilement et assez bien, assez continuement et assez opportunément pour que chacun la prenne de prime abord et par la suite pour de la franchise toute simple. La naïveté de son jeu dénonce l'hyprocrisie tout de suite, mais cette naïveté c'est la part de franchise qui persiste en elle, malgré elle et fausse assez la liberté de son action pour la dénoncer.

On s'indigne qu'il y ait tant d'hommes disposés à tromper leurs amis : parfait ! mais l'on s'en étonne : erreur ! car il sera toujours plus facile de tromper son ami que son ennemi.

Les Dits et contre-dits d'un homme d'aujourd'hui, 2e série, n° 3, juin 1933. pp. 22-23.