Sécurité sociale et création littéraire (propos qui gratte)

Il a tout de même fallu un essai de sociologue pour que les écrivains, apprentis-écrivains et autres mangeurs de phrases s’aperçoivent qu’il reste un problème au royaume de Littérature.
Franchement… les éditeurs vivraient des écrivains, leurs propres fournisseurs ? Non ? allez ? Tu déconnes ?
Les joyeux ahuris qui découvrent cela aujourd’hui n’ont jamais lu le bordereau de règlement d’une pige avec dégrèvement Agessa.
Il est vrai qu’à l’Education nationale les fiches de paye sont mieux foutues.

Si le système n’est pas juste, on devrait tout de même se poser une question avant de tenter de pénétrer le monde des lettres, aussi truqué et mafieux que le monde du jeu :

  • Ecrire : pourquoi ? pourquoi faire ? dans quel but ?
  • Publier : pour qui ? pour atteindre quoi ?

Je crains que trop souvent les réponses intimement vraies soient :
- pour devenir quelqu’un qu’on respecte
- pour être célèbre
- pour passer à la télé
- pour être riche
- pour tomber les mecs (ou les filles)
- pour se booster le “supplément d’âme”
- pour se faire des copains
- et pour cesser d’être prof (ça va les gars, ça, on avait pigé).

En somme, être écrivain pour faire son/sa faffiot(te) : notez tout de même au passage que c’est l’exacte motivation des jeunes décérébrés qui se montrent chez les producteurs minables de Star Academy.

(On préfèrerait pour le moins que la réponse profonde soit : pour se rassurer sur le sens de la vie, ou pour faire la pige à mon chat. Ou bien encore : pour que ma femme m’aime. Mieux encore : je n’en sais rien, qui aurait le mérite de l’honnêteté et nous épargnerait des heures de blabla sur le thème de “l’éééécriiiituuuure”. Pouâcre.)

Et c’est à cause de cette motivation égotiste, nombriliste, narcissique — qui témoigne d’une absence de jugeote autant que de maturité, de culture générale et de connaissances spécifiques des phénomènes de la vie culturelle (on n’a pas inventé grand chose depuis longtemps dans le domaine ; et les difficultés morales et pécunières des créateurs devraient être expliquées aux petits nenfants, tiens : oui les poètes-misère existent, oui les écrivains maudits existent aussi, ils meurent dans la solitude atroce et le mépris de leur concitoyens, ces mêmes 47 % de doux rêveurs qui voudraient devenir écrivain, de quoi réfléchir un peu, non ?) —, bref, c’est en raison de cet aveuglement et individuel et collectif
- que les éditeurs et toute la chaîne du livre, depuis les transporteurs et les imprimeurs jusqu’aux critiques, vivent sur le dos de cette pomme d’auteur à 9 % (sans sécu, ni retraite) ;
- que tous les naïfs pensent que les maisons d’édition sont le seul endroit où l’on peut pêcher un imprimatur, le droit d’être écrivain ou de prétendre à cette “dignité” (d’ailleurs si l’on en juge par la qualité littéraire intrinsèque des récentes trouvailles de nos vaillants éditeurs, ce n’est point trop sûr, au point que c’est peut-être bien le contraire) ;
- que 47 % des Français veulent être écrivains (les mêmes que plus haut !) ;
- qu’un imprimeur est payé, le plus souvent, pour son travail ;
- qu’un commercial employé par une société de diffusion touche généralement très bien, chaque mois ;
- que le système ronronne pas mal, malgré tout, pas vrai ?

Songez un peu (exercice) : Lautréamont, Roussel, Rimbaud ont-ils eu besoin de cette sanction pour faire oeuvre valable ?

Alors, trève de pleurnicheries : un peu de dignité, un peu d’indépendance, un peu de respect pour son art, que diable ! De l’indépendance et de la force de caractère !

Le jour où des écrivains conscients de leur valeur — je pense à des plumes qui ont travaillé pour en arriver là, mais quand je dis “travaillé”, je pense “TRAVAILLER” (vous savez : le truc pénible là) — cesseront de craindre l’avis d’un éditeur ou d’une éditrice pour savoir ce qu’ils valent ; prendront le taureau par les cornes et s’éditeront et se diffuseront avec leurs propres moyens, se contrefoutront du marketing et des médias en toc, des hémorroïdes de Philippe Sollers et des névroses de Christine “jesuisunécrivainjesuisunécrivain” Angot, alors les choses devront changer.

Mais les choses sont déjà en train de changer : la librairie traditionnellet est en train de décrocher sévère : moins 33% de CA en 4 ans ! Au profit des super-hyper-youplàboumarchés.

Je ne voudrais pas vous inquiéter mais… il va falloir s’adapter.

(Allez, on aura des compensations : on va admirer la façon dont les cadors du libéralisme “soyez souples” vont passer cet exercice sans se péter la gueule.
— Eh les gars ! faut être plus souples, hein, ouais, soyez souples. Oui, lâchez les primes, voilà. Non, non, le salaire horaire y’a plus. Lâchez aussi le costard à deux plaques. Voilà. Non, la retraite y’a plus. Les notes de frais ? ben vous retardez les gars, c’est mort depuis Mathuz’. Ah non, les horaires de travail c’est 7 h-22 h. Oui, c’est le patron de Bangkok qui vient de confirmer par fax. Ah t’es dans la culture française ? Je vérifie : ben c’est pareil pour toi mon vieux. A quel poste ? Cadre supérieur d’entreprise en relation avec la culture ? je vérifie… ouais c’est pareil aussi, mais tu me rends le portable.
)

C’était notre quart d’heures “cessons de nous plaindre (ça va être pire)”.

Courage à tous, et bonnes lectures (nous vous recommandons tout spécialement notre billet précédent “Ma Factrice est sympa…”).

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Haut de page