Bienvenu Merino (entretien)


Afin d'éclairer les curieux et de détromper les incrédules, le Préfet maritime a opté pour une solution radicale : en offrant le portrait de Bienvenu Merino, ainsi qu'un fragment d'entretien taillé sur le vif de ce personnage tout de même fort singulier, il poursuit la désoccultation d'un écrivain véritable, doublé d'un homme vrai, assez authentique pour avoir écrit Diarrhée au Mexique, et pour oser le republier, trente ans exactement après son prime diffusion.
Voici donc de véritables questions, suivies de vraies réponses.

ENTRETIEN AVEC BIENVENU MERINO


Qu’est-ce que la pornographie pour vous ?


La pornographie ? quelle question ! C’est dire ou écrire avec des mots propres à une identité, à une éducation et à une culture, ce que vivent la plupart des femmes et des hommes, dans la pratique de l’amour : le coït, la fellation, la sodomie, la bestialité même. Ce peut être aussi une réaction ou une provocation, par rapport à notre éducation, et aussi un amusement dans un genre littéraire. Des mots grossiers, bruts et dénués de finesse —encore que certains de ces mots, superbes musicalement soient l’essence même de l’amour. Je pense par exemple aux mots : sodom, sodomie. Il y a de la dynamite là dedans ! Je veux dire de la dynamique ! C’est costaud et sensuel en même temps. Le porno, je le savoure dans un lit ou ailleurs, là où le désir me gagne et que je veux exprimer en parlant ou en écrivant lorsque je suis amoureux, mais pas forcément lorsque je suis amoureux. Ce sont les pratiques naturelles que beaucoup taisent, n’osent pas dire : chut ! « Encule-moi, mon chérie », ce n’est pas toujours évident à dire avec tout ce que la morale nous a inculqué. Il y a tellement de manière de dire de belles choses dans l’amour, de les écrire avec des mots vrais, crus, étincelants, féeriques, qui jaillissent et vous apportent la lumière, vous font briller et chevaucher la morale, planer même. Moi, parfois, je suis direct. Je ne dis pas : « fellationne-moi ma chérie ! » Mais plutôt : « Suce-moi ! » En fait, c’est le feu sacré de notre intimité, que l’ont applique à la parole. Dans mon langage verbal je ne suis pas porno, mais dans l’écrit, cela m’amuse, je choisis des mots frappants, même s’ils sont obscènes. Cela ne me dérange pas, je peux être grossier. Beaucoup de femmes (je ne peux parler que des femmes), dans la pratique, apprécient d’entendre des mots cochons, ça les rend illuminées, infatigables, belles, savantes. C’est magnifique n’est-ce pas ?


Et cette « Prière » dans Situations Normales, n’est-elle pas à la limite de l’irréparable ?


« Prière » est la confession publique d’un être en souffrance, un long cri de désespoir. Mais c’est aussi la recherche de la délivrance d’une fidèle qui ne serait pas tombé dans le péché, comme l’église l’entend, mais qui découvre la luxure et s’offre au premier venu et aux autres hommes pour répondre à son besoin fou de liberté et pour assouvir ses désirs, sans prendre conscience du mal qu’elle provoque et de la douleur que subissent ceux qui la reçoivent. La revanche est implacable devant les faits accomplis, une torture terrible et insoutenable d’un être à la recherche de liberté. Ce texte, comme son titre l’indique n’est pas seulement une prière et une confession, mais une supplique où Dieu est inexistant.


Vous me parliez il y a quelque mois d’Arthur Cravan et de la boxe qui guidaient, il y a trente ans, vos premiers écrits. Vous êtes resté sur la même ligne depuis ?


Je peux écrire des choses terribles, vraies, vécus, sensibles, fragiles, mais je dois y mettre du piquant. Je dois oser la bonne dose. J’ai besoin de ça ! Ensuite l’ajustement des mots, du texte, tout cela se travaille. L’écrivain doit connaître les règles, mais doit-il pour autant les respecter ? C’est un travail long, très long. De la maternelle au lycée on peut acquérir les connaissances fondamentales du français, mais il faut du temps. Moi, j’ai sauté de la communale à l’Université, vous allez comprendre. Un tout jeune boxeur — j’ai pratiqué la boxe durant trois ans — doit étudier les coups classiques de la boxe anglaise. Du coup direct au large swing, en passant par le crochet, et une multitude de coups délivrés dans des positions, et directions variées à l’infini, sous des angles les plus divers. Le pugiliste de talent aura ensuite, toute possibilité de « découvrir » les quatre familles de la boxe : coups directs, crochets, uppercuts, swings. Le direct est un geste droit, immédiat, c’est le plus court chemin d’un point à un autre (de son point de départ au point d’impact). Le direct du gauche c’est le coup initial de la boxe qui à mon sens est l’A de l’alphabet du pugiliste. Celui qui ne l’a pas solidement en main, et ça dès le début de sa carrière, possèdera toujours une grave lacune dans son bagage. Le direct du gauche est le grand régulateur de la boxe. Expédié à répétition, notamment au visage d’un adversaire désavantagé en taille et en allonge, il permet d’accumuler les points. Le direct du gauche donne la distance, crée l’ouverture pour « passer » un «droit » plus appuyé, plus efficace. Même allongé sans vigueur, il gêne. Bien entendu, il faut cependant porter le gauche rapidement : « sec et précis ». Dans l’écriture, il faut aussi faire son apprentissage, comme à la boxe. La grammaire, la syntaxe, la conjugaison, l’orthographe, etc.


De même que vous avez appris à manier la langue, vous avez fait l'apprentissage de divers métiers…


Oui, toutes sortes ! En dehors du sport, j’ai aussi l’expérience du travail manuel : couper du bois, étudier la diversité des arbres de la forêt, élaguer les troncs, les travailler, les sentir comme un bûcheron. Un peu plus tard, j’ai fais l’apprentissage du travail du fer : forge, ferronnerie, ajustage. Nous étions une famille nombreuse. Je n’avais vraiment pas le choix. Il fallait travailler. L’écriture est venue, vous savez, comme lorsque, enfant, on suce des bonbons, des réglisses. C’est bon, on en veut encore et toujours. Et on prend goût, c’est délicieux ! C’était pareil avec les mots. Mes parents nous parlaient espagnol (andalou) la plupart du temps. Ils avalaient la fin des syllabes. C’était rapide, et, en plus, avec un mélange de français. Je devais composer avec cela et ça m’échappait parfois : et les mots et les phrases, et la langue ; les deux, française et espagnole. J’en suis devenu bègue lorsque que je suis entré à l’école à six ans. Je postillonnais, je crachais même — comme un lama —, lorsque j’essayais de m’appliquer face à un interlocuteur attentif. Plus il était attentif, plus j’étais incapable de dire un mot convenablement. L’écriture m’a aidé à mieux structurer mon langage. Il était devenu normal, naturel, comme avec les bonbons, de sucer les mots. Comment dire à une fille que vous l’aimez ? Heureusement, il y avait l’écriture, le poème : « chai(rie), tu es ma vie, tout mon vi(de) ». De sorte j’avais toujours une réponse. Ainsi, je communiquais, je pouvais enfin communiquer. Alors tout mon visage brillait : mes yeux, mes dents, mon nez. Vous comprenez, ça m’incitait à écrire, à m’appliquer, à ouvrir un livre. Je déchiffrais pouce après pouce ce que je croyais au début des exercices compliqués, j’essayais de comprendre, déchiffrer d’abord, puis les tentatives d’éclaircir, de composer lettres par lettres, mots par mots, phrases après phrases, lentement comme le fait un typographe qui prépare une page, un texte. Net, et le livre est là, fabriqué, prêt à lire. Enfin, ce n’est pas si facile…

(Octobre 2006)

Bienvenu MERINO Diarrhée au Mexique. — Villelongue d'Aude, L'Atelier du Gué, 64 p., 7 € franco de port.

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