Charcot ? Pourquoi pas...

Jean-Baptiste Charcot à sa toilette, sur le pont du Pourquoi pas ?

C’est une rude surprise que les éditions José Corti nous font là : le journal d’expédition de Jean-Baptiste Charcot, fils de l’aliéniste, un siècle après sa parution, se révèle un livre aussi enthousiasmant que possible, emballant tout à fait, stupéfiant même par certains aspects.
Rapporté au jour le jour, le récit d’une campagne scientifique destinée à étudier des terres inconnues, ou plutôt des glaces, à hiberner en fait, ce périple du Français, navire de l’expédition, nous vaut beaucoup plus qu’un livre de Loch, il s’en faut.
La personnalité de Charcot y est, évidemment, pour tout : homme cultivé, issu des meilleurs salons, de la plus éclatante des capitales, il ne peut tenir une plume comme un marin ou comme un scientifique. Certes, il est médecin, à l’instar de son père, mais il a lu, et cela se sent immédiatement. S’engage-t-il sur les eaux glacés qu’il convoque Dante ou Michelet, avant d’adresser à Jules Vernes ou Poe de multiples saluts.
L’homme se signale par son allant, doublé d’une ferme audace — on en retrouve d’ailleurs la trace sur la coque de son prochain navire, le fameux Pourquoi pas ? dont la perte, corps et âmes, en 1936, secoua le pays tout entier. Témoin encore ce fragment :

Nous réussirons, car il faut que nous réussissions et la phrase de M. Bouquet de la Grye, lorsque j’allais, il y a un an déjà, exposer à lui, l’un des premiers, le plan de l’expédition me revient toujours à l’esprit comme un encouragement et un conseil : “C’est très beau, mon enfant, ce que vous voulez faire là, mais vous aurez bien du mal ! Si vous voulez aboutir, dites-vous tout le temps à vous-même : “Je veux” et autres “Ça marche bien.” C’est ce que j’ai fait, c’est ce que je continuerai à faire, mais je ne puis, surtout ce soir, chasser toutes ces pensées, hôtes absorbants de mon cerveau, pas plus que je ne peux m’empêcher de songer, avec plus d’intensité que jamais, aux événements qui ont hâté ou accompagné mon départ, aux amis dévoués laissés en Argentine ou en France, et aux miens. A tous, j’envoie un au revoir qui peut singulièrement ressembler à un adieu ; et, plus que jamais aussi il me semble que le retour, s’il doit avoir lieu, sera plus angoissant que le départ… C’est une nouvelle page de ma vie que je tourne lentement et gravement, et je ne puis déchiffrer la suivante, dans le grand calme de cette nuit, dans la pénombre des hautes falaises des Terres Magellaniques.”

Réédité avec une éloquente et agréable postface de Pierre Escudé — qui a fait cette extraordinaire découverte que le texte de Charcot fut la source majeure de Jean Giono rédigeant ses étranges Fragments d’un paradis (1948) —, Le Français au pôle Sud nous convie au grand spectacle des voyages extraordinaires et des mondes inconnues.


Jean-Baptiste CHARCOT Le Français au pôle Sud. Postface (riche) de Pierre Escudé. Paris, José Corti, 368 p., 20 €

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