Le Portatif de Philippe Murray


Disparu le 2 mars 2006, Philippe Muray, né le 10 juin 1945 à Angers, avait débuté assez tôt une carrière d’essayiste et de prosateur par la face romanesque du pic. Son premier livre, Une arrière-saison (Flammarion, 1968), effacé de sa bibliographie depuis lors, inaugurait un parcours aussi vindicatif que remarqué. On sait quel intérêt conservent ses chroniques de la Revue des Deux-Mondes, d‘Art Press, de L’Idiot international ou de L’Infini, reprises dans les Exorcismes spirituels (Les Belles-Lettres, 1997-2005), et de quelle qualité sont ses réflexions réparties dans différents volumes aussi lucides qu’appréciables. Ne négligons pas non plus son Céline (Gallimard, 2001, coll. “Tel”) et Le XIXe siècle à travers les âges (Gallimard, 1999, coll. “Tel”), parmi d’autres textes notables.
Pour l’heure, et en guise d’hommage, les Belles-Lettres associées aux Mille et Une Nuits proposent un petit volume posthume de grand intérêt. Conçu sur le modèle du Dictionnaire philosophique de Voltaire, surnommé “le portatif” par les lecteurs du temps, Le Portatif de Philippe Muray rédigé de 1991 à 1997 constitue une voie d’accès rapide aux thèmes de prédilection du critique depuis “Absent” jusqu’à “Vouloir-guérir”. Equipé d’un index qui renvoie aux développements correspondants de ses précédents volumes, ce petit livre va devenir, parions-le, un vade-mecum aussi utile que l’index du Journal de Paul Léautaud.
Pour les fines gueules, cinq fragments (quatre pour le plaisir, et un autre pour constater que Muray donnait à côté de la plaque lorsqu’il faisait un blocage) :

CONNAISSANCE (fonction de)
J’ai trop vu mes amis de l’ex-avant-garde se gargariser avec le stéréotype de la “fonction de connaissance spécifique de la littérature” (ou du roman) pour ne pas avoir pris en grippe cette facilité. Je sais qu’ils seraient eux-mêmes incapables, les yeux fermés, de dire la couleur des yeux de leur femme ; et je ne parle pas de la découpe de leur chatte ; encore moins, cela va sans dire, de ce qu’elles ont dans la tête. (…)

MUSIQUE
(…) Du rock — pratiquement la seule musique que les gens écoutent, donc qu’ils m’obligent aussi à entendre — je me suis aperçu qu’il ne restait, pour moi, à travers les murs et les plafonds, que les percussions. La mélodie (s’il y en a une) disparaît, s’efface avec la distance. Ne subsiste que l’odieux battement cardiaque de cette machine infatigable et morbide. (…)

POESIE
(…) La poésie associée depuis toujours au sacré (occultisme). La poésie est un occultisme qui recherche sa fin en lui-même, une incantation close.

THEOPHOBIE
(…) A la fois démodés et inoubliables, le sexe et Dieu gisent en travers de la société comme des espèces de grands cadavres allégoriques dont on ne sait plus quoi faire… (…)

TOURISTANTHROPE
Dès novembre 1998, un jeune Berlinois de l’Est avouait son désespoir à un journaliste : “C’est foutu, mes copains vont vouloir voyager, ils vont donc avoir besoin d’argent. Pour avoir de l’argent, il faudra qu’ils deviennent agressifs, compétitifs ; nos rapports vont s’espacer, nous allons perdre cette connivence née de l’immobilisme et de la répression de l’Etat !” (…)

Philippe MURAY Le Portatif. — Paris, Les Belles-Lettres & Mille et une Nuits, 96 p., 10 €

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