Maier la subversive (du travail et de ses limites)


Corinne Maier, née en 1963, est écrivain et psychanalyste. Elle était précédemment “économiste” chez EDF, une entreprise conviviale d’organisation de réunions, de fourniture de rapports en papier et aussi d’électricité. Et c’est dans ce cadre prestigieux, néanmoins historique, qu’elle eut l’idée aussi faste que néfaste d’écrire Bonjour paresse (2004), pamphlet vibrant contre les structures professionnelles génératrices de flou, de mou, d’incohérent et, parfois même de néant. Si possible en tailleur ou avec cravate (1).
Evidemment, on lui désigna la porte d’une main roide pour avoir osé révéler ce que tout salarié a depuis longtemps constaté : le discours des managers est une vaste mystification, de même que la croissance, l’innovation, l’énergie et la souplesse des salariés, toutes billevesées crevantes lorsqu’on a du boulot, râlantes quand on n’en a pas.
Fine mouche dotée d’une langue qu’elle est incapable de brider, Corinne Maier produit chez Mille et une nuit un nouvel ouvrage, parfaitement ironique, sous le titre Ceci n’est pas une lettre de candidature. Tout ce que vous aimeriez écrire à un recruteur sans oser poster la lettre.
Et, pour commencer, qu’on n’est pas recruteur lorsqu’on a un QI supérieur à 100, et autres douceurs.
C’est la publication dans Le Monde de l’annonce offrant le poste dont elle venait d’être éjectée qui a déclenché chez Corinne Maier l’irréprésible envie de se payer la fiole de ses anciens employeurs. Aidée par quelques trublions associés, elle expédia des lettres de candidature aussi variées que possible, drôles le plus souvent, éloquentes toujours. La candidature groupée des “Glandeurs masqués” mérite la palme de la véracité.
Subversive, notre économiste-psychanalyste énonce quelques vérités dont celle-ci :

“Le système veut notre bien, et ça c’est vraiment terrifiant, beaucoup plus peut-être que son armée de camelots madrés prêts à toutes les bassesses pour nous fourguer un stock inépuisable et toujours renouvelé de cochonneries new look. Oui, le système attend qu’on produise et qu’on consomme, mais aussi qu’on soit en bonne santé et qu’on se comporte comme des adultes responsables, de bons parents, des automobilistes repsectueux du code de la route, etc. Il est difficile de l’attaquer frontalement, car il lutte soi-disant pour le bien de tous (un argument imparable, dont le défaut est tout de même d’exclure l’individu). De plus, il n’a aucun rival. Enfin, il n’a pas de dehors, et nous sommes tous dedans : tout est quadrillé, tout est sous contrôle.
Alors, il faut biaiser. Vous me direz, envoyer des lettres, ce n’est pas bien méchant pour combattre un empire aussi puissant. Mais, dans un monde où nous sommes supposés dire oui à tout, comme ces chiens qui bougent la tête de bas en haut sur la plage arrière des voitures, écrire des lettres (anonymes ou pas) est peut-être la dernière forme d’insurrection possible (ce qui, par parenthèse, en dit long sur le degré d’obéissance exigé par notre société).”


Corinne MAIER Ceci n’est pas une lettre de candidature. Tout ce que vous aimeriez écrire à un recruteur sans oser poster la lettre. — Paris, Mille et une nuits, 141 p., 10 €

Voir aussi le site et le blog de Corinne Maier.

(1) plus de 300 000 exemplaires vendus… Depuis Paul Lafargue, la paresse est donc toujours d’actualité, avec son corollaire : la généralisation des emplois idiots dans une société de type capitalisto-bureaucratique. Voir aussi le billet du blog de Guy Darol sur le sujet de l’oiseveté.

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