L'Alamblog

Grand connoisseur des parlers anciens, Jean Claude Bologne (1) fournit un morceau de choix avec Dieu et le pêcheur, un poème hardi du méconnu Gautier Le Leu (ou Le Loup), écrivain vivant au XIIIe siècle dans le Nord de la France ou en Belgique et réputé pour ses vers anti-moines ou hardis (Du con) et sa Veuve qui, selon Gustave Lanson, préfigurait le classicisme français.
Avec Dieu et le pêcheur, apologue nerveux contant les difficultés que Judas, Pierre et Jésus rencontrèrent dans leur quête de ravitaillement, c’est l’inégalité des Hommes qu’évoque Gautier Le Leu et, paradoxalement, leur parfaite égalité face à certaine figure qui n’est pas la mort. Ce serait trop simple. Echantillon :

voici qu’arrive, par un vallon,
un homme fort laid et hideux
monté sur un cheval noir.
Dieu lui-même s’en épouvante.
Car il portait, à ce qu’il semble,
un grand cercueil et une bière.
Il avait le cou et la face
couverts d’un blanc suaire.
On eût dit qu’il avait
les yeux et le visage de cire.
Après lui venait une foule
affreuse et impétueuse ;
on y voyait un chapelain
d’apparence fort repoussante,
qui allait chantant requiem
pour l’âme du roi Josué.
Et celui qui ouvre le cortège
s’en détache et approche
comme un homme qui ne craint personne.
“Dis-moi ! fait-il, m’entends-tu bien?
As-tu des poissons en quantité
qui soit d’assez bonne qualité ?
- Oui, fait l’autre, par saint Germain,
mais vous n’y toucherez jamais
ni pour argent ni pour or fin,
avant que je ne sache votre nom.
-Ami, dit-il, je suis la Mort.
Nul de ceux que je mords de ma bouche
ne peut y trouver remède,
ni par herbe ni par racine.

(1) Pas de tiret, svp.

Gautier LE LEU, Dieu et le pêcheur, proverbe du XIIIe siècle, adapté et présenté par Jean Claude Bologne. — Auxerre, Rhubarbe, 2007, 34 pages, 5 €