Edith de la Héronnière

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C’est en délicatesse qu’intervient Edith de la Héronnière. On la dit descendante de Remy de Gourmont, et cette assertion, très probablement tamponnée au coin de la véracité, a quelque chose qui nous surprend (1). Oui, car nous avions songé à son propos, bien avant de connaître cette filiation prestigieuse, à Gourmont.
Rien de stylistique ne pouvait justifier le parallèle, alors quoi ? Une hauteur de vue peut-être, une élégance, un je-ne-sais-quoi de la grâce qui ne touche que ceux qu’elle souhaite toucher, lorsqu’elle veut bien les toucher. Et il est certain qu’Edith de la Héronnière a été touchée. Si on ne l’a jamais lue, on le découvrira bien vite en contraignant le libraire récalcitrant à bien vouloir remplir son office qui consiste à commander à l’éditeur, fût-il méconnu de son répertoire mental, le livre dont ne peuvent se prévaloir ses rayons. Et, cette semaine, ce sera Promenade dans les tons voisins.
Très élégant, ce livre au titre prometteur recueille seize textes, chroniques, préfaces ou articles, ainsi qu’un “impromptu narratif”, qu’avaient publiés naguère la NRf, la Revue des deux mondes, Légendes ou bien encore Critique. Si l’on n’a pas lu Guerres, du Volcan au chaos ou les biographies de Joë Bousquet et de Teilhard de Chardin, c’est l’occasion rêvée de faire connaissance avec l’écrivain Edith de la Héronnière que sa grande discrétion, suprême élégance, a jusqu’ici voilé aux yeux du plus grand nombre. Le droit souci du spirituel et de l’authenticité n’autorise pas les détours scabreux de la publicité, fût-elle rebaptisée promotion. Et, de fait, lorsqu’on lit Edith de La Héronnière, il est rassurant de sentir qu’une personne authentiquement vouée à sa tâche d’écrire ce qu’elle souhaite écrire a mis à notre disposition le fruit de ses pensées.
Voilà qui nous change, direz-vous, et, en effet, la fraîcheur de cette lecture, et son grand intérêt, qui nous change aussi, vaut bien qu’on s’arrête à ce volume indépendant de la vie éditoriale, autonome sans doute, aussi intemporel que sobre, franc, beau, où, pour ne rien gâcher, on s’instruit et où l’on pense. Basile Sainte-Croix, qui fut son ami, Jankélévitch, Hadju, Nicolas de Staël, etc. apparaissent ainsi dans ses pages, et, à nos yeux d’insulaire lointain, le plus passionnant est sans nul doute ce texte consacré aux voyages d’esthètes, “De certains transports en matière de goût”, qui débute ainsi :

L’amour de l’art n’a rien de bénin. C’est au contraire une affaire à haut risque, donnant lieu à des manifestations et à des comportements extrêmes, si l’on en croit des auteurs éminents tels que Goethe, Stendhal, Proust ou Freud. Il sera ici question de quelques-uns des transports, psychologiques et autres, déclenchés par le goût du beau et ses méfaits…

Des méfaits et ravages de l’amour de l’art… Le “syndrome de Stendhal”, qui n’est certes pas fils d’une dromomanie courante, conduisait déjà à la défaillance, au délire, à la perte d’équilibre, “autant de réactions psychosomatiques” signalées par Stendhal et étudiées par Graziella Magherini, de l’hôpital Santa Maria Nuoa à Florence… Avec Edith de la Héronnière, nous abordons donc les rives de l‘elginisme vorace, du nom de Lord Elgin, fameux découpeur d’antiquités grecques du XIXe siècle dont Malraux se fit le petit copieur dans sa prime hominitude en sabotant à la scie quelques superbes sculptures d’Asie aujourd’hui encore entreprosées au Louvre (chez Elgin tout au moins l’amour de l’art prévalait. Chez Malraux c’était bien autre chose). Mais, rappelle Edith de La Héronnière l’elginisme aurait pu se nommer verressisme, du nom de ce préteur romain qui mit la Sicile au pillage (2).
Et puis il y a encore l’art du minus dicere de Cristina Campo, la nostalghia, les vertus du haïkaï, Gustaw Herling, Czapski, les frères Powys et mille autres choses dont l’accumulation donne une belle idée des savoirs d’un auteur qui sait offrir sans que l’on remarque son geste. D’une élégance suprême, nous le disions plus haut, et, aussi, d’une finesse d’esprit que beaucoup de nos élites esthétiques devraient jalouser si elles étaient accessibles à la honte et au sentiment d’elles-mêmes.
Pour tenter de vous convaincre encore de lire Edith de la Héronnière, nous ajouterons seulement que nous connaîtrons une autre intense satisfaction dans un instant, lorsque, de notre île, après avoir dégusté l’ouvrage, nous mettrons ce billet en ligne. L’artisan que nous sommes aura la satisfaction d’avoir utilement labouré son clavier.

Bonnes lectures.


(1) Nous étions surpris, et Edith de la Héronnière nous apprend pourquoi dans un récent courrier : “A propos de Remy de Gourmont, je ne descends pas directement de lui puisqu’il n’avait pas d’enfants, mais je descends de sa cousine germaine, qui était mon arrière-grand-mère et qui s’appelait comme moi Edith Chable de la Héronnière — une vraie Normande.” (Note du 17/11/2007)
(2) Nous découvrons, ignare que nous sommes, L’Obélisque de Louqsor, le texte de Petrus Borel publié naguère à l’enseigne des Livres de Nulle Part (il est repris du Livre des Cent-et-Un (1833). Il y est question du même sujet elginiste. Les grands esprits se rencontrent. (Idem).



Edith de la Héronnière Promenade dans les tons voisins. - Paris, Isolato, 2007, 132 p., 17 euros.

Bibliographie indicative d’Edith de la Héronnière

Histoires lapidaires : Vézelay. Avec des photographies de Geneviève Ameilhau et Pierre Pitrou (Fanlac, 2007, 89 p.).
Joë Bousquet, une vie à corps perdu (Albin Michel, 2006, 261 p.)
Guerres (Arfuyen, 2003, 67 p., coll. “Cahiers d’Arfuyen” n° 144).
Vézelay, poème illustré par Jean-Marie Queneau (Editions de la Goulotte, 2003).
Du volcan au chaos, journal sicilien (Pygmalion, 2002, 248 p.).
Vézelay, l’esprit du lieu (Pygmalion, 2000, 180 p. et Payot, 2006, 154 p., coll. “Petite bibliothèque Payot. Voyageurs” n° 572).
Teilhard de Chardin : une mystique de la traversée (Pygmalion, 1999, 275 p. et Albin Michel, 2003, 276 p., coll. ” Spiritualités vivantes poche” n° 199).
Gustaw HERLING Variations sur les ténèbres, suivi d’un Entretien avec Edith de la Héronnière, traduit du polonais par Thérèse Douchy (Le Seuil, 1999, 170 p., coll. “Solo”).
Le Bourgogne des châteaux et manoirs. Photographies de Dominique Repérant (Le Chêne, 1993, 232 p.).
La Ballade des pèlerins (Le Mercure de France, 1993, 286 p., “Collection Bleue”).
Oliver SACKS L’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau et autres récits cliniques. Traduit de l’anglais par Édith de la Héronnière (Le Seuil, 1988, 312 p. et coll. “Points” n° 245, 1992).


Information complémentaire : Isolato c/o Frédéric Jaffrennou, 42 bis rue des Maraîchers, 75020 Paris, isolatoediteuratyahoo.fr

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