Jean Piverd et Philippe O'Creac'h (Prix des Tabous 1950)

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Palinure s’est perdu entre les deux prix littéraires des Tabous



Il y a deux prix littéraire du Tabou. C’est suprêmement logique, puisqu’il y a deux cabarets sous ce même totem: l’un rue Dauphine et l’autre à Sèvres-Babylone.
L’un de ces prix est le faux. L’autre le vrai, comme on s’en doute. Mais l’état de notre enquête ne nous permet pas de préciser plus avant.
Rue Dauphine, cette nuit, M. Philippe O’Créach s’est vu attribué un prix qui est simultanément le dernier de l’an passé et le premier de l’année nouvelle. Et ceci pour avoir écrit, à 43 ans, Tendre est Perrine. M. O’Créach porte un monocle, que le O’ irlandais de son nom rappelle jusque sur ses cartes de visite. Il se méfie terriblement des blondes et revendique la parternité d’un scénario dont vous devinez le titre.
Il a battu au 2e tour La Volonté de puissance d’un successeur de Nietsche (sic), M. Mohof (1). Le jury comptait plusieurs femmes exquises, la voix téléphonique de Marcel Archard, et M. Jean-Louis Vallas, poète et inspecteur des Finances.
Et l’autre vrai-faux prix du Tabou ?
Samedi matin, le téléphone m’annonçait qu’il allait se passer quelque chose au Tabou dont le spectacle me captiverait. A midi dix, j’avais maille à partir avec différents automédons qui apportaient beaucoup de complaisance à me persuader de l’urgence de les accompagner à Levallois ou à Saint-Ouen. A midi quarante-cinq, je me heurtais à la porte close du lieudit, rue Daupine, établissement généralement fermé aux heures d’ouverture et fort accueillant à l’aube aux argousins chargés de préserve le sommeil des voisins. A treize heures, et tirant la langue, je découvrais place du Bon Marché un deuxième Tabou sertissant de moulures byzantines quelques-uns des fleurons de la pensée française contemporaine : j’ai nommé les sieurs Raymond Queneau, Gus, Soro, Maurice Raphaël, Max Favaleli, Jacques Robert, François Chevais et le regretté Yvan Audouard (par regretté j’entends absent : le compagnon se porte bien). Etaient également Michèle Vian (Boris cogite et écrit à Saint-Tropez) et France Delahalle, qui fut récemment une Célimène charmante à laquelle Cécile Sorel donna sa bénédiction.
Il s’agissait de décerner un prix littéraire à tout le moins aussi sérieux que beaucoup d’autres : celui du Tabou, comme par hasard. J’appris dans le même temps que je devenais membre du jury et que si d’aventure j’avais pris connaissance d’un livre de Jean Piverd paru sous le titre de Bourric’ Polka aux éditions du Scorpion, rien ne m’empêchait de lui reconnaître quelque mérite.

De viles manoeuvres

Ce n’est pas à un vieux singe de mon espèce que l’on apprend à grimacer. Je discernai aussitôt dans ce propos la perfidie d’une manoeuvre de dernière heure destinée à porter préjudice aux chances de ce livre. D’aucuns parmi les plus hypocrites affirmaient dans le même dessein, sans nul doute, qu’il serait bon de s’évader, en fixant notre choix sur un livre aussi audacieux que celui-là, des ornières du conformisme littéraire où s’enlisent les pesants véhicules d’idées reçues que tirent, ahanants, les bourrins du Goncourt, du Renaudot, du Femina ou de l’Interallié. Autant dire que le roman de Piverd mettrait le feu aux poudres et nous attirerait les pires ennuis. Grâce à Dieu, j’avais eu connaissance de Bourric’ Polka et je savais bien que tout cela n’était que fariboles d’aigris, billevesées de calomniateurs à gages. Une seule phrase de ce volume, la première, vous en convaincra. Je ne résiste pas au plaisir de la citer :

En ce clair matin, l’âme du jeune Onésime Briochain flânait mélancoliquement dans le grand Paradis. Assise sur un petit nuage, elle écoutait distraitement les invisaibles musiques célestes et souffrait de ne pouvoir se mélanger, pour partages leurs bavardages, aux âmes des bienheureux éparpillées par groupes en ces lieux azuréens.

Voilà de quoi rassurer les pudeurs effarouchées. Mon siège était fait. Assez d’érotisme frelaté, place à la fraîcheur. Je voterai pour Bourric’ Polka.
Au cinquième tour, et malgré les insinuations retorses de ses détracteurs, le livre de Jean Piverd l’emportait à la majorité absolue des voix. Avaient retenu l’attention du jury : une oeuvre inédite de Cicéron, De operatione, dont les bonnes feuilles avaient paru dans le Figaro littéraire ; la nouvelle édition augmentée du sieur Chaix, finalement écarté comme indicateur notoire; et la feuille d’impôts de Soro, sujette à trop d’additifs éventuels pour être retenue dans sa forme première.
Palinure

Combat, 1er janvier 1951, pp. 1 et 5.


Philippe O’Creac’h Tendre est Perrine. - Paris, Nouvelles Editions Latines, 1951, 367 p.
Jean Piverd Bourric’ Polka. - Paris, Editions du Scorpion, 1951, 175 p. coll. “Histoire de rire”. Catalogue des éditions en fin de volume.

Note
(1) Nous n’avons trouvé aucune trace de ce livre ou de son auteur. (NdE)

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