Prof Albert (is he bluesproof ?)

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Il est grassouillet, il frappe ses élèvres durs-à-cuire (le crâne), sa copine l’a plaqué il y a cinq ans, il est architecte mais doit faire le prof pour gagner sa croûte, il est blond, sa chevelure lui tombe sur le front.
A Londres, Albert en bave.
B. S. Johnson le valeureux (1933-1973) s’en sert en outre de cobaye à fiction.
Nous n’allons pas dévoiler tout du livre ou de son intrigue. Osons simplement quelques remarques sur les aspérités de cette prose qui, à l’instar de Chalut, se consomme à belles dents : du rythme, de l’intensité et de l’humeur, c’est à peu près tout ce qu’il nous faut pour passer l’hiver.
Si l’on ajoute les quatre pages ajourées (mystère de mystère) et cette tocade pour les variations formelles et stylistiques (tout à fait agréables et justifiées, donc acceptables), on se trouve face à un auteur audacieux, sans doute novateur, qui n’a pas résisté à la grisaille de son monde (l’Angleterre des années 1950-1970). Qui est un peu le nôtre.

C’est envers Worcester Park qu’Albert réservait son mépris le plus absolu : St Helier était raté mais sans prétention, alors que Worcester Park était à la fois raté et prétentieux.

Cet ”Albert Angelo” paraît tout bonnement dépressif mais les quatre phases successives du livre content plutôt les étapes passagères d’une existence en équilibre instable : le jeune architecte sans emploi d’architecte finit par rejeter ses propres mensonges et renonce à l’architecture, tout comme il renonce à son malheur. C’est l’une des surprises de ce livre.

Albert réfléchissait : une bille de bois, une planche de bois. A quel moment la bille devient-elle planche ? A quel moment la planche devient-elle bille ?

L’autre surprise, c’est cette leçon de pédagogie égréenée au fil de l’eau : gare aux gamins, gare aux profs. Reste la contemplation des architectures, le jeu des soleils sur les zincs et les vitres, les gouttières humides, les bords de canal, la ville. Il semblerait que B. S. Johnson fut un tantinet anthroposceptique, ou désillusionné. On ne lui jettera pas la pierre, car on le serait à moins. Et puis, comme il l’écrivait en 1967 dans Chalut, son sujet, son mobile, son centre de gravité, c’est la prose : « C’est pour ça que je suis ici, filer les mailles étroites du chalut de mon esprit dans le vaste océan de mon passé. »

L’un de mes objectifs est didactique aussi : le roman doit servir à transmettre la vérité, et dans ce but, chaque procédé, chaque technique de l’art de l’imprimeur devrait être mis à la disposition de l’écrivain : d’où les trous dans la page, comme des fenêtres sur le futur, par exemple, autant pour attirer l’attention sur les possibilités que pour prouver ma théorie sur la mort et sur la poésie.

C’est imparable.



B. S. JOHNSON Albert Angelo. Traduit de l’anglais par Françoise Marel. — Quidam, 184 pages, 20 euros


De B. S. Johsnon nous recommandons tout particulièrement ”Chalut”, ”Christie Malry règle ses comptes” et ”R.A.S. Infirmière-Chef, une comédie gériatrique”, aux mêmes éditions Quidam.

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