Alcanter de Brahm dans Toutes les lyres (1909)

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Puisque l’on n’a pas souvent l’occasion de voir Alcanter de Brahm (pseud. de Marcel Bernhardt, Mulhouse, 1868-Paris, 1942), le fameux inventeur du point d’ironie, nous en remettons une couche avec, pour les plus curieux, le détail de sa notice dans Toutes les lyres, l’anthologie critique des éditions Gastein-Serge.
On y trouve quelques éléments d’informations et des vers qui ne signalent point trop le grand poète moderne. Il est vrai que ce sont des “Voix Anciennes”…

Né à Mulhouse, M. Alcanter de Brahm est surtout très connu comme poète, comme critique, comme satiriste.
Il publia, en 1892, un premier recueil, Chansons poilantes, précurseur de la chanson “rosse”, genre actuellement si répandu et si goûté.
En 1895, paraissait cvez Vanier Eros chante, dont le succès auprès des lettrés fut très vif. En 1904, Les Voix Anciennes achevèrent de mettre en relief ce talent si personnel. Le volume comprend divers longs poèmes, notamment “Le Vin du soir”, évocation dramatique du Moyen-Age, “La Légende du Kolonger”, “Le Songe de Délia”, “Le Cantique des Cantiques”, etc. Les vers réguliers, les vers libres ou “libérés”, et même les vers blancs y alternent ; et, dans une curieuse préface, M. Alcanter de Brahm invoque les témoignages de Boileau, de Fénelon et de Sully-Prudhomme, à côté de ceux de Stéphane Mallarmé et de Rémy de Gourmont (sic), — rencontre imprévue, — en faveur d’une absolue liberté d’expression prosodique. “Le poète, ajoute-t-il, oeuvre, crée, ainsi que le justifie son titre de poète. Il crée selon sa vision, il oeuvre selon sa grammaire personnelle et son tempérament. A lui de savoir s’imposer par la puissance du souffle qui l’anime et la beauté de l’harmonie qu’il dégage.” Voilà, certes, une exacte conception de la poésie, que M. Alcanter de Brahm a la rare sagesse de ne point confondre avec une ne sait quel “art poétique” purement mécanique et conventionnel.
Le poète prépare actuellement l’édition prochaine des Carnavalettes et de Florilège, dont divers extraits ont été déjà des plus appréciés des lettrés et du public.
Il a fait paraître en prose différents ouvrages justement remarqués, entre autres : L’Arriviste, roman (1893), dont le titre constitue l’un des néologismes les mieux accueillis de notre langue actuelle ; Critiques d’Ibsen (1898) ; Telle que toujours, roman synthétique ; l’Ostensoir des Ironies, 3. vol. (1899-1900), magistrale et curieuse critique des moeurs de ce temps ; Lauzun-Carnavalet ; Visite à Carnavalet (1906) ; et tout récemment : La Peinture à Carnavalet (1909 ; Sansot, Edit.) ouvrage original qui marquera une date dans les annales esthétiques des musées parisiens. Enfin, suivront incessamment Le Calvaire des Pauvres, roman social en cours de publication dans l’Evénement, et Recoins de Paris et Maisons de Poètes, où seront consignées avec art les mille précieuses découvertes du passionné fureteur qu’est M. Alcanter de Brahm.
Les collaborations du poète, du critique littéraire, artistique, dramatique ou musicla, du chroniqueur et du romancier ne se comptent plus. Il suffira de rappeler qu’elles s’exercent en particulier au Rappel, à l’Evénement, à La Critique, à l‘Alceste, au Penseur, au Chroniqueur de Paris, à Paris-Noël, et dans la plupart des publications d’art.
M. Alcanter de Brahm est secrétaire du Musée Carnavalet, de la Commission des Bourses Nationales de Voyage Littéraire, de la Société des Peintres du Paris-Moderner, du Nouveau-Paris, etc., etc., et Membre du Jury du Salon des Poètes.
Il a conquis divers titres à la reconnaissance des lettrés, notamment par la fondation de la Société des Poètes Français (1902), dont il fut effectivement l’organisateur le plus actif, et dont il demeura, six années consécutives, le dévoué secrétaire général.
Car M. Alcanter de Brahm n’est pas seulement un patient orfèvre d’idéal ; il est aussi un poète en action, un valeureux promulgateur de la beauté.

Pol Villox.



En guise d’adieu

La plainte du violoncelle
gémit, gémit toujours,
et sa cantilène est bien celle du regret des amours.

Des souvenirs d’anciennes joies
Nous reviennent au coeur,
et des illusions chatoient,
puis volent, l’air moqueur.

Quand sonne l’heure de retraite
où l’âme vient à Dieu,
sur la chanterelle inquiète
se module un adieu,

la plainte du violoncelle
gémit, gémit toujours,
et sa cantilène est bien celle
du regret des amours.

1895 (Eros chante)



La violette de Toulouse

Pour Jean Rosmer

Divine fleur que j’ai choisie
pour être l’éternel parfum
d’amour embaumé de ma vie,
petite fleur de mon jardin,

Non, tu n’es pas la tubéreuse
qui fait muer en pâmoison
de sa substance vénéneuse
ceux qu’elle prive de raison,

ni cet iris mélancolique
se mourant tout plein de langueur
dans une pose très attique ;
morte la fleur, brisé le coeur !

Tu n’as pas l’orgueil de la rose
dont le rubis couleur de sang
évoque l’aspect grandiose
d’un amour trop incandescent.

Ni le lotus aux chastes poses,
ni le muguet, un peu pâlot,
ni l’églantine, enfant des roses,
ni l’oeillet blanc, frêle jabot,

ne sont doués du charme tendre
que tu revêts, au dmi-deuil,
grave et modeste, à me surprendre
par ton parfum de bon accueil.

L’exquisité de ton délice
me grise d’un calme bonheur,
et je puis bien ce ce calice
vider la coupe en ton honneur.

Petite fleur tendre et jalouse,
toi qui possèdes mon secret,
ma violette de Toulouse,
reste bien close en ton coffret.

Nov. 1901 (Les Voix anciennes)



Le vieux faucheur

Au maître Roll.

Le vieux faucheur s’en vient, paisible et solitaire ;
au détour de la route, il a pris le chemin
qui mène doucement jusques à la chaumière
où, dans la paix du soir, il songe au lendemain.

Le lourd poids de la faux sur l’épaule robuste
a rivé l’instrument témoin de son labeur.
Il marche pesamment, imprimant à son buste
comme un balancement éternel et berceur.

Lorsqu’il m’est apparu vers l’heure vespérale
où les vapeurs mourant mêle aux teines d’opale,
d’azur et de rubis l’or pur de son blason,

j’ai ressenti l’émoi des visions magiques ;
car le vieux paysan, dans ce vaste décor,
de la grande Faucheuse au geste symbolique
paraissait évoquer cette image de mort.

1906 (Florilège)

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