B. Traven connaît la musique (Sylvaine Viel-Notte)

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Ah ! Si certain Mister President avait lu Le vaisseau des morts de B. Traven, il aurait tourné sept fois sa langue avant d’éructer l’une des plus belles inepties présidentielles : « Travailler plus pour gagner plus ».
Le gag.
On s’en gausse encore en abordant le chapitre XXVI dudit ouvrage (réédité en 2004, soit trois ans avant telle arrivée au pouvoir, laissant largement le temps de découvrir et un grand texte et un slogan moins pernicieux). On savoure ces quelques phrases de B. Traven, écrivain aussi pertinent que mystérieux :

« On accroche dans tous les bureaux et dans toutes les usines une affiche qui vous incite à en faire plus. L’explication vous est fournie sur un tract distribué sur les lieux de travail : « Fais-en plus ! Si aujourd’hui tu en fais plus que ce qu’on te demande, si tu travailles plus que ce pour quoi tu es payé, on te revaudra ça un jour ».
« Personne n’a encore pu m’avoir de cette manière. C’est pourquoi je ne suis pas devenu non plus le directeur général de la Pacific Railway and Steamship Inc. On lit régulièrement dans les magazines et les suppléments dominicaux des journaux – et, d’ailleurs, les gens qui ont réussi le savent bien – que, grâce à cette surcharge de travail volontaire, qui dénote ambition, zèle et désir de pouvoir commander, plus d’un simple ouvrier et devenu directeur général ou milliardaire, et que quiconque suit consciencieusement cette voie pourra lui aussi accéder au poste de directeur général. Mais les postes de directeur général et de milliardaire ne sont pas si nombreux en Amérique. Je risque donc de travailler toujours plus pendant trente ans, sans pour autant toucher davantage, tout ça parce que je suis censé devenir directeur général. Si je demande un beau jour : « Alors, il n’y a toujours pas de poste de directeur général à prendre ? », on me répondra : « Désolé, pas pour l’instant, mais nous vous avons remarqué, continuez encore à travailler aussi assidûment, nous ne vous perdrons pas de vue. »
« Autrefois on disait : « Chacun de mes soldats porte un bâton de maréchal dans son havresac », aujourd’hui on dit : « Chacun de nos ouvriers et employés peut devenir directeur général. » Dans ma jeunesse j’ai vendu des journaux à la criée, ciré des bottes et, dès l’âge de sept ans, j’ai du gagner ma pitance, mais jusqu’à maintenant je ne suis pas encore devenu directeur général ou milliardaire. (…)
« Si la foi déplace les montagnes, c’est l’incroyance qui brise les chaînes des esclaves. »



Eh oui, Mister President, nombre de salariés connaissent de longue date le goût de cette carotte amère…


Sylvaine Viel-Notte



B. Traven Le vaisseau des morts, roman traduit de l’allemand par Michèle Valencia. - Paris, La Découverte, 2004, coll. Culte Fictions, 286 pages, 13, 50 euros

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