A propos d'une plaquette de Marc Stéphane consacrée à Jean Grave (Alphonse Retté)

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I. Marc Stéphane : Pour Jean Grave (I brochure chez Vautier) (…)

I
M. Marc Stéphane estime que la Gouvernance devrait remettre en liberté notre camarade Jean Grave. Je suis tout à fait de son sentiment et voici ce que je crois devoir dire à ce sujet : ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous. Nous leur avons proposé l’entente commune pour le bien général. Les uns se sont déclarés indifférents. Les autres préfère s’amuser avec des rondelles de métal luisant ou se menacer, en frappant sur des tam-tams de guerre et en agitant des simulacres - sous prétexte de patrie. Ils préfèrent aussi se dépenser sans produire tandis que la masse travaille pour eux. Les indifférents sont des atrophés appelés à être éliminés rapidement le jour où éclatera la révolution sociale. Les autres sont des hypertrophiés ; partant des malsains et il siérait de les abattre le plus tôt possible. Cela serait, sans doute, une occasion de souffrance violente pour ceux de l’Idée mais le sang qui coulerait de cette plaie rendrait de la vigueur à l’espèce. En tout cas cette opération réparerait le mal causé par les fusillades de Madagascar ou de la Guyane.
Mais le souci de délivrer Grave vaut qu’on le mette en regard de ces manifestations coloniales. Nous pouvons donc dire à nos adversaires : “Rendez à Jean Grave ce que vous vous ^tes mis seize à lui prendre - quatre vêtus de rouge comme des bourreaux de foire, douze pareils à des grenouilles adorant leur roi au bord d’un marécage - sa liberté. Nous oublierons - pour un instant - que l’exploitation du poivre de Cayenne provoque des meurtres au préjudice de ceux qu’on oblige à révolter cette épice. Car si Pini qui témoigna du mépris pour les rondelles de métal luisant aussi bien que ses quatre frères en l’Idée sont morts à cause de leur foi - l’Idée ne meurt pas.”
Dans ces conditions, je (ne) vois pas pourquoi les gens qui sont chargés de couvrir et de découvrir l’Altesse Responsable ne lui feraient pas cadeau, pour ses étrennes, d’une couverture qui, sans valoir une cuirasse, lui permettrait de reprendre haleine : la libération de Jean Grave.
Maintenant, il faut faire observer à M. François Coppée, qui, dans le Journal du 20 décembre 94, crut devoir intercéder en faveur de notre camarade, que Jean Grave n’est considéré chez nous, ni comme un précurseur ni comme un retardataire. Nous n’avons cure de ces mises sous étiquette. Jean Grave agit selon qu’il est en lui d’agir. Son livre fut un coup de pioche qui nous valut de la lumière en notre cave. Nous l’aimons donc parce que le jour où il le publia étant lui-même, il fut nous tous.
En outre Jean Grave n’a jamais dit que l’homme est naturellement bon. Il laisse cet aphorisme aux personnages sensibles qui pratique la Rousseaulâtrie, par exemple Robespierre, cette quintessence de bourgeoisie.
Grave a dit : l’homme a été et est encore un assez méchant animal mais, malgré sa méchanceté originelle, le développement de sa conscience, synthèse en lui des forces naturelles, lui a permis d’apprendre à associer ses idées. Laissez le jouir intégralement du fruit de cette conquête et de ses résultats matériels, le milieu s’assainira et l’homme se haussera encore de quelques degrés au-dessus du singe. Mais si vous vous opposez à cette évolution, le jeu logique des forces naturelles vous abolira.
Tel est, à mon sens, la doctrine de Jean Grave (1).
Or si l’on doit faire encore observer à M. Coppée qu’il y a de l’enfantillage à attendre pour cueillir un fruit que celui-ci soit défendu, on peut lui tenir compte de ses velléités d’anti-fétichisme.
Quant à ceux de la Gouvernance, il leur sera fait comme ils feront eux-mêmes.


Adolphe Retté


(1) Voir la Société mourante et l’Anarchie, passim et notamment de la page 25 à la page 31 (2e édition).

La Plume, littéraire, artistique et sociale, 1er janvier 1895, pp. 18-19.


Notes biographiques sur Jean Grave (1854-1939) ici ou , les minutes de son procès, L’Anarchie, son but, ses moyens, ou encore, pour les amateurs, la fameuse lettre d’Elisée Reclus à Grave du 26 septembre 1885.

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