Valentine de Saint-Point en 1911






Valentine de Saint-Point ne fut pas toujours la futuriste que l’on sait. En 1911, voici ce qui paraissait dans l‘Anthologie critique des poètes


VALENTINE DE SAINT-POINT

La littérature et, peut-être encore davantage, la poésie contemporaine ont marqué l’avènement d’un sensualisme mystique, où, faute d’un culte déterminé, les formes les plus exceptionnelles de nos désirs prennent, tour à tour, à nos yeux, les apparences de véritables déités. Je ne sais si les romantiques n’ont jamais poussé plus loin le cri de leurs souffrances que nous-mêmes n’avons poussé l’appel de nos espoirs et de nos joies. De là ces rêves de chair, ces hantises de désirs qui ardent et déchirent, mais d’une autre façon, l’àme exaspérée de nos frères, et peut-être encore plus fréquemment, de nos soeurs en poésie. Où aboutiront de pareilles tendances? Je ne sais. Je ne les critique point. Le grain a déjà levé, et Mme Valentine de Saint-Point, par exemple, dans ses Poèmes d’Orgueil, pour ne citer que son oeuvre la plus récente, a mis un soin particulier à rendre fertile un champ où sa sensibilité fort vive, peut glaner, dans d’agréables heures,les sensations les plus rares de ce mysticisme nouveau. St-CH.


Dédicace.

Femmes-enfants en proie aux attendrissements,
Qui sans sensation ne goûtez pas la vie,
Qui jouez avec tout sans en avoir l’envie,
Je n’écris pas pour vous, pour vos amusements.

Vieillards qui ne savez plus du désir la joie,
De l’étreinte l’ardeur, du plaisir la valeur ;
Vous que la mort effraie autant que la douleur,
Je n’écris pas pour vous sur qui je m’apitoie.

Amants de la mesure, ennemis du fortuit,

Que le rouge effarouche et qu’un éclair effraie,

Pour qui le voyage et la lutte sont l’ivraie,

Je n’écris pas pour vous, car vous dormez la nuit.
Je ne chante et n’écris que pour les jeunes hommes
Dont l’àme écoutera ma fière âme vibrer
D’angoisse et de triomphe, ivre de célébrer
La vie et le soleil, les forces autonomes,

La conquête et l’ardeur, les vouloirs et l’instinct,
Le mépris de la mort et l’amour de la force,
Tout ce qui vaut qu’on vive et vers quoi l’on s’efforce,
Ce qui est triomphal, ce qui est indistinct.

Je ne chante l’orgueil que pour les jeunes hommes
Dont la jeunesse exulte ou se meurt de désir,
Et je leur léguerai mes émois à choisir
Afin d’en animer leurs multiples fantômes.

Si mon sang épuisé dans mon immense essor
A su les émouvoir, qu’ils gardent ma pensée ;
Lorsque dans l’Univers je serai dispersée
Qu’ils me lisent le soir et m’écoutent encor.

Et trouvant en mes vers mon âme mise à nue,
Qu’ils rient de leur amante aux aspects enfiévrés,
Et vers l’ombre tendus murmurent enivrés :
« Cette femme, pourquoi ne l’ai-je pas connue ? »


Anthologie critique des poètes, Paris, coll. de la “Poétique”, 1911, pp. 154-155.

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