Médaille : Marc Stéphane (1929)

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Médaille : Marc Stéphane

Grand, bien découplé, solide encore malgré l’âge, anarchiste, — qu’on dit —, il avait durant des années tiré le harnais de besognes diverses, écrivant par-ci, cheminant par-là, n’ayant pour richesses que ses yeux clairs, son vert, langage, un cynisme à base de candeur. Ce ne sont pas de telles qualités qui vous font décrocher la gloire. Un peu moins de talent et un peu plus de « savoir y faire » vaut mieux. Marc Stéphane, lui, n’en à jamais eu.

Or l’autre année, il publia Ceux du trimard, son histoire. C’était musclé, coloré, juteux, avec un mouvement de tous les diables. Léon Daudet le lut, s’emballa, trompeta son emballement. Voilà notre homme lancé ! Lui, sagement, se retire dans son jardin, le cultive et, végétarien, ne mange que ses fruits. Le soir, il philosophe avec sa femme, ou bien écrit.

Et voici le miracle. : Marc Stéphane publie ces jours-ci, Verdun, ma dernière relève du Bois des Caures. On ne peut pas dire que pour une fois — le hasard l’aidant — il n’ait pas eu le sens de l’opportunité. Toute notre critique, tous nos courriéristes littéraires, et une grande part de là publicité de certains éditeurs sont accrochés à des livres de guerre, qui viennent de l’autre côté du Rhin : celui de Remarque, qui est une oeuvre de premier ordre, et l’autre, Guerre, qui. est le néant du néant. On annonce Classe 22 et d’autres cadets. Oui, mais voilà ! Tandis que tout Paris n’a d’yeux que pour ces traductions, le livre de Marc Stéphane passe quasiment inaperçu. Quelle stupidité ! Quelle injustice ! Il n’y a donc plus, à Paris, de critiques indépendants et qui lisent ?

Car Ma dernière relève au Bois des Caures est un des rares livres de guerre qui doivent rester. Cela est vu, senti, transcrit de façon goguenarde et impitoyable. L’action, qui se passe en cinq jours, vous en apprend plus sur la guerre que ces prétendus reportages objectifs qui ont la prétention d’embrasser toutes les hostilités et ne sont qu’un tissu de platitudes. Le livre de Marc Stéphane crie la vérité. Pas de pitié ridicule, pas de bourrage de crâne, pas de plaidoyer en faveur des petits ou des grands : la vérité ! C’est ça. C’est cinq journées en enfer, avec la gouaille, le cran, le mépris, la grossièreté et la bonhomie que cela comporte.

Pour le style, quel régal ! La langage est dru, dense, vert, cynique. Quand le français ni l’argot n’y peuvent aller, l’auteur forge ses mots à la manière des grands bonshommes du seizième siècle, les Amyot, les Rabelais, les Montaigne ; il n’est pas une page, pas une phrase qui soient indifférentes. Combien de livres peuvent mériter un tel éloge ?

Pisanello

L’Européen, 30 octobre 1929, p. 11.

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