Prémices d'Edmond Rostand (on a du nez ou on n'en a pas)

gantrouge.jpg



Edmond Rostand avant Cyrano de Bergerac, c’est ce que nous proposent les éditions Nicolas Malais grâce à la trouvaille de Michel Fourrier, qui, aux Archives dénicha le texte du Gant rouge, première pièce du grand dramarturge (après Molière) dont les problèmes de nez… nous y reviendrons. Ceux qui auraient oublié quel statut on accorda à Rostand au début du siècle dernier - un Molière bis -, trouveront dans les Têtes couronnées de Robert de Montesquiou (Sansot, 1916) des informations éloquentes.
Soit, mais la mise en scène de cette première oeuvre de 1888 fut un semi-échec patiné à l’eau de scandale, vite effacé de la mémoire de Rostand, avec raison sans doute, si l’on en croit son succès futur. Le débutant allait se faire les dents après s’être fait botter les fesses, sans déshonneur du reste, si l’on en juge par la note de Camille Le Senne ci-dessous.
En choisissant de publier dans le même volume, mais tête-bêche, le texte de la pièce et la correspondance (retrouvée par le même Michel Fourrier) adressée par son auteur à sa douce, sa future épouse, l’écrivain Rosemonde Gérard, Nicolas Malais propose un objet peu commun : l’oeuvre et un aperçu direct sur les conditions de sa création. Et il est toujours très agréable d’avoir l’oeil sur l’esprit au travail. Où l’on voit Rostand douter, douter beaucoup et s’interroger, légitimement.
Curiosité assurément, Le Gant rouge peut être admis au rang de document intéressant pour une autre raison : l’action - un vaudeville - débute au Musée Grévin. Voilà qui aurait plu à André de Lorde.
En ce qui concerne le nez, cet appendice fameux, voici ce que souligne l’éditeur dans sa présentation de l’ouvrage : une citation extraite d’une lettre à Rosemonde :



On m’a dit tout à l’heure que les gens qui avaient le nez de travers étaient spirituels mais n’avaient jamais de veine. Cela m’a flatté et navré. Nous verrons bien.

N’est-elle donc pas significative cette fixette nasale du futur auteur de Cyrano ?

Pour les bibliophiles, cette dernière précision : l’ouvrage est tiré à 1 600 exemplaires dont « 80 exemplaires sur vergé aigue-marine, agrémentés d’un gant de velours rouge, le tout placé sous un coffret calque » et « 18 de ces exemplaires non coupés, et agrémentés d’une oeuvre d’un artiste contemporain, Raphaël Denis. » Les amateurs de livre constateront en outre que la maquette ne manque pas d’imagination.
Et pour calmer temporairement les appétits les plus voraces, nous joignons ci-dessous le compte-rendu publié par Camille Le Senne dans son annuel Théâtre à Paris (Paris, H. Le Soudier, 1888, p. 634-635), c’est le petit plus de l’Alamblog :

LE GANT ROUGE, par H. LER et E. ROSTAND
Vaudeville en 4 acles
Première représentation à Cluny, 24 août 1888
DISTRIBUTION: MM. Allart, Numas, Dupuy, Dorgat, Nars, Cuinier, Bertin, Brecourt
Le théâtre Cluny a renouvelé son affiche pour les derniers jours de l’année théâtrale qui finit — officiellement — au 31 août, avec un vaudeville en quatre actes de deux débutants, M. H. Lee (un Américain), et M. E. Rostand (un Marseillais).
Le gant rouge, gant en fer blanc accroché au-dessus de la porte de la Cascade des cravates, magasin de lingerie et de ganterie — surtout de lingères et de gantières — tenu aux environs du boulevard des Italiens par Mme Tourniquet, ne sert pas seulement d’enseigne, mais de coffret aux lettres compromettantes. Mme Tourniquet a caché dans un doigt la correspondance galante échangée il y a quelque quinze ans avec un capitaine de chasseurs. Mais ce n’est pas le seul doigt utilisé à titre de boîte aux lettres. Ernestine, la première demoiselle de magasin de Mme Tourniquet, a caché aussi dans le pouce ou l’index du gant rouge des lettres d’un certain Toulouzac.
Toulouzac qui se comporte ou plutôt se déporte à Paris en célibataire, est marié à Bédarieux. Ce détail n’a pas échappé à la pénétration d’Ernestine, une petite « moderne » fort positive. Que son amant d’entre-saisons s’avise de la négliger, et elle adressera à Mme Toulouzac la preuve des infidélités de son mari. De son côté, le bourgeois de Bédarieux flaire un chantage et profite d’une excursion entreprise à Paris (toujours la Cagnotte !) en compagnie de ses concitoyens et amis Rastouanet, Castoulet, Balladaze, pour essayer de remettre la main sur sa correspondance.
À la suite de quiproquos remplissant trois actes de développement, le gant rouge passe de main en main, comme l’enfant perdu des mélodrames du boulevard et comme les deux milles contrefaçons vaudevillesques du Chapeau de paille d’Italie, jusqu’au moment où tout s’arrange à la satisfaction générale.
Interprétation méritante : M. Lureau, un Toulouzac de la rondeur la plus méridionale ; MM. Allart, Dorgat, Numas et Dupuy (excellent en domestique belge). Du côté féminin, Mmes Guinet, N. Berthin, Brécourt, etc. Mise en scène réussie, notamment le premier décor qui représente la grande salle du musée Grévin avec toutes ses figures de cire. Voilà des circonstances plus qu’atténuantes pour cette méprise d’ailleurs sans conséquence puisqu’il s’agit d’un dernier solde d’arrière-saison.




Edmond ROSTAND Le Gant rouge/Lettres à sa fiancée. Edition de Michel Fourrier et Olivier Goetz. - Paris, Nicolas Malais, 2009, 521 p. 28, 50 euros

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Haut de page