Soyons crétins

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Vraiment, l’existence nous est douce. L’hiver touche à sa fin sur notre île, l’Océan est amical, le ciel poli, la verdure est folle, les oiseaux acrobates. Seuls les mammifères restent un peu ahuris. Exceptés les singes qui s’amusent de cette activité inattendue. Ce matin, le bon vieux cargo Amgström du capitaine Karft est reparti. Sa vieille coque rouge oxydée est restée longtemps visible sur la ligne d’horizon, preuve que le temps est clair. Il nous avait, comme il en a l’habitude, livré notre courrier et les diverses commandes des îliens. C’est une petite fête que de le voir arriver. Pour ma part, j’avais mon lot de livres — et, cette fois, la plupart épatants. Yorick, mon Gibbon à joues blanches, gymnase dur, tandis qu’un côte-du-Rhône délicat flatte mon palais.

La proximité de l’anthropoïde monogame m’a sans doute poussé à ouvrir en premier lieu la réédition de Valcrétin, de Régis Messac dont je gardais un souvenir plus que fort de mes lectures d’antan. En pente raide, Quinzinzinzili mène à ce livre.
Dernier roman écrit par Messac, peu avant sa déportation, Valcrétin est sans doute son oeuvre la plus pessimiste. L’ambiance en est plus que noire. Elle est marron, boueuse et je n’ajoute rien, d’autant que, on le sait, l’acide Messac ne délaissait jamais son vif penchant à la satire et à la verve :

Mais encore une fois, je me le demande, tel un personnage classique : Que diable allaient-ils faire dans cette caverne ?

Rappel des faits : une expédition scientifique française se rend sur une île des mers du Sud pour étudier une population ignorée d’humanoïdes déconcertants dont les caractéristiques sont celles des crétins, médicalement parlant. Goîtres et os ramollis sont les mamelles de l’esthétique de cette “salade d’anatomie crétine”.

Ah ! nous sommes frais, à Crétinville.

Comme souvent chez Messac, les choses tournent mal, et tout naturellement, d’autant que ne sont plus observés une nouvelle société en voie de construction comme dans Quinzinzinzili, mais une tribu d’êtres sordides et un groupe d’humains en pleine régression.
Le livre a été rédigé durant la guerre, c’est à tout prendre une bonne explication du régime désespérée de Valcrétin

Où est le bonheur ? Dans l’accord avec son milieu. Si nous vivons au milieu des crétins, soyons crétins.

Les lecteurs de Quinzinzinzili auraient tort d’imaginer qu’il leur sera possible de se loger confortablement dans cette fable abominable. Cette fois, la situation est pire, les cas sont sans appel.


Régis Messac Valcrétin. Préface de Natacha Vas Deyres. Postface de Guibet Lejeune. Illustration de couverture d’Erro. — Paris, Ex Nihilo, 2009, 172 pages, 15 euros.

Société des amis de Régis Messac
71, rue de Tolbiac
75013 Paris


Et, toujours disponible, le classique des classiques
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Régis MESSAC Quinzinzinzili. — L’Arbre vengeur, 28 septembre 2007, coll. “L’Alambic”, 200 pages, 13 euros.

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