Lillian Genth, Woman with a japanese lantern (1915)
Comme nous l’annoncions hier, voici un extrait de La Lanterne Japonaise, feuille de cabaret, si l’on peut dire, lancée par Jehan Sarrazin, avec le concours de
George Auriol, Maurice Rollinat, Paul Verlaine, Charles Cros et quelques autres pseudonymographes.
C’est en substance un curieux écrit de Marcel Bailliot, le contemporain de Paul Verlaine, collaborateur des Annales gauloises, de la Plume, chroniqueur dramatique de la Revue indépendante et spécialiste du détatouage que nous vous proposons. Bailliot n’est pas un inconnu, puisqu’il fit cité, notamment, par Aurélien Scholl aux côtés de Zola, Coppée et Retté lorsqu’il évoque les Soirs de la Plume en préface à l’opus de Léon Maillard, La Lutte idéale. Les Soirs de la Plume (P. Sevin, 1892) :
Voilà Marcel Bailliot, le zutiste, ayant cinquante refrains à son arc, chansons dans la manière blagueuse, crânes, frisques et joviales, avec en dessous bien masquée, une jolie petite pointe sentimentale et attendrie ; a plus fait pour la gloire de Moréas que les bibliopoles du quai. Bailliot chante les Abricots, les Trottins, les Dos et s’appuie sur les Fanfares du coeur.
La Vie
Pipi, joujou, gaga, dodo
A mon ami Dareste
Parce qu’au fond des armoires l’enfant a vu les crèmes et les gâteaux, les confitures et les gelées, il tend vers ces friandises ses menottes potelées. Puis longtemps encore il mange, il boit, et son ventre s’arrondit, tel celui d’un oiselet goulu dans le nid sali.
Pipi.
Oh ! les petites femmes qui rient et chantent dans les claires matinées de printemps ! Des femmes et des fleurs, des roses et des jolies filles. Le jeune homme lève ses yeux ingénus vers elles, puis sentant en lui un trouble immense, il les aime toutes : les brunes dont l’amour tue, les blondes aussitôt prises aussitôt fanées, les châtaignes, ces futures bourgeoises du pot-au-feu, les rouges que guette la phtisie, les négresses aux mamelles en poire. L’homme longtemps s’amuse avec.
Joujou.
Il les a tant aimées, les belles créatures, qu’il sent dans ses moelles de lancinantes douleurs. Ataxie et détraquement. La volupté troublante boute encore en lui des désirs fous pendant les nuits sans sommeil, mais le vieillard vidé ne connaîtra plus les joies de l’intime possession. Voilà-t-il pas que dans ses rêves érotiques défilent les anciennces avec leurs cheveux dénoués, et le pauvre invalide des combats d’amour sombre dans le gouffre de la nuit intellectuelle.
Gaga.
Plus de soleil et plus de fleurs ; la nuit tombe lentement sur son intelligence finie. Sous les pommiers fleuris s’agernt les amoureux, et sur la face ridée de l’aïeul passe encore parfois un sourire au souvenir du passé, mais la mort fermera bientôt ces yeux qui ne savent plus voir, ces lèvres qui ne peuvent plus aimer.
Puis, sous la terre il dormira d’un sommeil dont on ne se réveille jamais, mais son corps donnera les ferments qui feront pousser plus vives les fleurs immortelles de l’amour.
Dodo.
Marcel Bailliot
La Lanterne japonaise, samedi 20 avril 1889, p. 3.
Il semble que Le Cri-cri 1er avril (n° 30, Paris, J. Strauss) ait également publié ce texte du zutiste Bailliot.
1 De Tata Germaine -
Aurait besoin des Fanfares du coeur, tu as ?