Le plus littéraire des peintres : Eugène Delacroix

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Le Journal d’Eugène Delacroix, ce précieux document de l’histoire de l’art du XIXe siècle, n’avait pas connu d’édition depuis sa publication initiale par André Joubin en 1932 (Plon, trois volumes). Le travail méritait donc d’être revu. Courageusement, les éditions José Corti en ont pris l’initiative en confiant à une universitaire américaine, Michèle Hannoosh, le soin de préparer la nouvelle version du texte en y intégrant les documents qui ont refait surface depuis la publication initiale, en provenance de la collection d’Achille Piron, héritier du peintre, ou de celle de Claude Roger-Marx, le critique d’art.
Autant avouer tout de suite que l’ensemble est conséquent. Il a d’ailleurs était largement enrichi des carnets inédits du peintre (carnets de voyage en Afrique du Nord, drame inédit, notes esthétiques, projets, etc.), de notices biographiques, d’articles critiques… “Tout un réseau de relations est révélé par des annotations (de Delacroix qui étaient restées inédites) sur les pages de garde — noms et adresses de marchands, clients, amis, critiques, fournisseurs, administrateurs, des références bibliographiques, comptes et recettes, notes pour ses fonctions de Conseiller municipal de Paris.”
Une édition bien comprise, donc, et l’on n’imagine guère plus complet — ce livre en deux volumes est une somme de deux mille cinq cents pages qui réévaluent considérablement le corpus des écrits du peintre — ouvre pour nous une fenêtre assez panoramique sur la société française du XIXe. L’infra-ordinaire a du bon
Contrairement à son voeu de n’écrire que pour lui-même, Eugène Delacroix est devenu pour nous le chroniqueur de son existence, de ses pensées, de ses projets, de sa riche vie culturelle entre le mardi 3 septembre 1822 :

Je mets à exécution le projet formé tant de fois d’écrire un journal. Ce que je désire le plus vivement, c’est de ne pas perdre de vue que je l’écris pour moi seul ; je serai donc vrai, je l’espère. J’en deviendrai meilleur. Ce papier me reprochera mes variations. Je le commence dans d’heureuses dispositions.

Et le 22 juin 1863 :

Le premier mérite d’un tableau est d’être une fête pour l’oeil. Ce n’est pas à dire qu’il n’y faut pas de la raisons : c’est comme les beaux vers… ; toute la raison du monde ne les empêche pas d’être mauvais, s’ils choquent l’oreille. On dit : “avoir de l’oreille” ; tous les yeux ne sont pas propres à goûter les délicatesses de la peinture. Beaucoup ont l’oeil faux ou inerte ; ils voient littéralement les objets, mais l’exquis, non.

Vous n’aurez pas de mal à croire que ce texte prolifique est passionnant.



Eugène Delacroix Journal. Nouvelle édition intégrale établie par Michèle Hannoosh. — Paris, José Corti, 2 volumes, 2519 p. 80 euros

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