Epître sur ma vieille culotte (s. d.)

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Epître sur ma vieille culotte


Jours de détresse et de rapine,
Quand donc n'existerez-vous plus ?
Persécuté par la famine,
les meilleurs habits vendus,
Pour quelques livres de farine,
Contre un pain bis et sans saveur,
Troquant ainsi mon vestiaire,
Je n'avois gardé, par pudeur,
Que de quoi garder mon derrière.


Mais, ô ciel ! ce foible tissu,
ici troué, là décousu,
Fait voir à qui me considère,
Ce qui devroit n'être point vu.


Culotte ! Hélas ! ton règne passe ;
Et quand tu vas me délaisser,
Je suis privé, dans ma disgrâce,
Des moyens de te remplacer.


Que faire ? Iroi-je, for cynique,
Me targuer de ma pauvreté ;
Et de ma maigre nudité
Egayer une rieur caustique ?
Ou sur mon grabat étendu,
Y reposer mon corps étique,
Jusqu'à ce que la République,
Rappelant l'argent disparu,
Permette à ma vertu pudique,
De sortir sans montrer mon cu ?


Mais comment vivre en solitaire,
Blotti chez moi comme un hibou ?
Pourria-je, sans quitter mon trou,
Me procurer mon nécessaire ?
Moi qui n'ai pas, dans ma misère,
De quoi payer un porteur d'eau,
Ne faudra-t-il pas, pauvre hère,
Passant la rue avec mon seau,
L'aller remplir à la rivière ?


Jadis, lorsqu'avec mes contrats,
Du trésor abondant les caisses,
Ma main recevoit en espèces
Ce qu'on me donne en assignats ;
Mes jours conduient dans l'abondance,
Mon corps avoit quelqu'embonpoint ;
J'étois mis avec quelqu'élégance,
Et mes coudes ne passoient point
A travers les trous de mes manches.
Restant la semaine à Paris,
J'allois visiter, le dimanche,
Les campagnes de mon amie.
Doux voyages ! je me rappelle,
En voyant mes mauvais souliers,
Qu'alors la plante de mes pieds
Ne me servoit pas e semelle.


Au lieu d'eau je buvois du vin ;
Ma table, aujourd'hui dégarnie,
Avoit toujours quelque mets fin.
O le bon temps ! la douce vie !
Lorsque, trois livres dans mes mains,
Malgré la royale effigie,
Valoient cent francs républicains !


Tous les jours d'un jeûne rigide,
Je subis forcément la loi.
Quel jeûne ! en vérité, je crois
Que les saints de la Thébaïde
Faisoient meilleure chère que moi.
N'est-ce pas assez, sort perfide !
De pouvoir à peine, ayant faim,
Jeter, dans mon estomac vide,
Quelques morceaux de mauvais pain ?
Faut-il, aggravant mes détresses,
Faut-il me réduire aujourd'hui
A laisser, dans son vieil étui,
Voir le squelette de mes fesses ?


Ô vous ! courageux sénateurs !
Je suis charmé que la patrie
Ait vu, devant votre énergie,
Disparoître ses oppresseurs.
Je maudirai toute ma vie
Leur règner dépopulateur ;
Mais je regrette, au fond du coeur,
L'heureuse sans-culotterie.


Je serois bien aise vraiment
De voir revivre cette mode
Qui, pour moi, seroit fort commode
Dans mon état de dénuement.


Fondateurs de la République :
Réglez-vous, pour former vos lois,
Sur ce législateur antique,
Qui voulut qu'à Sparte autrefois,
On vit, avec des yeux pudiques,
Les jeunes filles, les garçons,
Danser dans les fêtes publiques,
En montrant ce que nous cachons.
Que cet usage en ma patrie
Soit établi par vos décrets :
Et ma culotte à l'agonie,
N'excitera plus mes regrets.
Par la faim et par la misère
Si je suis encore tourmenté,
J'aurai du moins la liberté
D'aller au bal pour m'en distraire.





(Merci à S. B. pour la trouvaille).

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