Les Chefs-d'oeuvre méconnus (suite)

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A propos de la collection des Chefs-d'Oeuvre méconnus, dont l'Alamblog fournit naguère la bibliographie lacunaire, ces articles pêchés dans L'Art libre (Bruxelles).

L'abondance des matières et la place restreinte qui nous reste pour parler des livres nouveaux nous oblige à passer en revue rapidement les ouvrages qui, durant le mois de mai, sont venus s'ajouter aux grandes collections dont L'Art Libre s'est occupé récemment.
Nous dirons donc seulement que la série des « chefs-d'oeuvre méconnus », qu'édite la maison Bossard, s'est enrichie de deux livres importants. Ils accentuent tous deux l'éclectisme et la haute portée de cette vaste collection dont M. Gonzague Truc fait en quelque sorte une bibliothèque classique. Le premier est un Gérard de Nerval oublié, De Paris à Cythère, que préface et annote avec intelligence M. Henri Clouard. Le second rassemble les Lettres de Mme de Maintenon, et M. Gonzague Truc les présente lui-même. Il nous est impossible d'insister davantage sur la signification de l'effort entamé par M. Bossard, ni sur la nuance que ces deux derniers volumes y apportent. Je m'efforcerai, pour ma part, de revenir bientôt sur le Gérard de Nerval, la figure de cet homme étrange étant l'une de celles qui me passionnent depuis de longues années.
J. O.


L'Art libre, juin 1921, n° 6, p. 98.


LES CHEFS-D'OEUVRE MECONNUS
La belle collection publiée par l'éditeur Bossard, et dont nous avons déjà parlé à plusieurs reprises, élargit, chaque mois régulièrement, son cadre.
Et voici quatre nouveaux volumes, dont l'intérêt,— je dirai même : dont l'importance, — ne le cède en rien aux précédents.
C'est d’abord le Principe fédératif de Proudhon, préfacé et annoté par M. Charles-Brun, et orné d'un portrait gravé par Ouvré, d'après le célèbre tableau de Gustave Courbet. Œuvre d'une grande importance philosophique et sociale, et qui résume toutes les théories de Proudhon vieillissant, en leur donnant un cadre définitif et, surtout, en coordonnant les éléments dispersés jusque là dans force articles et force revues. En allégeant de quelques redites et de quelques disgressions (sic) le texte original de 1863, l'éditeur a donné à cet ouvrage de doctrine un relief considérable, et je m'étonne de voir comment, après tant de luttes et tant d'épreuves, cet ouvrage est encore (ainsi que le faisait Proudhon lui-même) « irréfutable et neuf ». Il est juste et bon que ce philosophe hardi, dont le nom continue à servir d'épouvantail, soit replacé à son rang et introduit dans les cadres de la grande littérature, — celle des idées et des sentiments.
L'éclectisme de la collection rapproche de Proudhon le Spectateur Français, de Marivaux, préfacé et annoté par Paul Bonnefon. On connaît peu ce document précieux, ce journal dont vingt-cinq exemplaires parurent irrégulièrement, quand la misère eut poussé Marivaux à regarder ses contemporains et à les amuser en; leur parlant de leurs aventures et de leurs défauts. Journalisme curieux, mon Dieu, pas beaucoup plus relevé que le nôtre, mais d'un tour d'esprit original. Et puis je le répète, quel précieux document sur l'histoire d'un siècle qui restera dans l'histoire l'âge classique de la culture française.
Les Propos rustiques, de Noël du Fail (avec introduction et notes de Jacques Boulenger), ne manquent pas de saveur et échappent à l'archéologie littéraire par maintes qualités. Voici à coup sûr le chef-d'oeuvre plus inconnu que méconnu.
Tout comme, d'ailleurs, L'Homme-Machine, de La Mettrie (notes par Maurice Solovine), ce médecin du dix-huitième siècle qui partit d'une fièvre chaude pour aboutir à la théologie, et qui eut au moins l'honneur de soulever contre lui toute l'opinion publique.
Pour moi, je ne saurais assez me réjouir de l'étendue et de la variété de cette collection. Elle affermit chaque jour sa position, et elle devient un des plus formidables outils de travail que la librairie française ait offert depuis longtemps à ceux qui lisent.
A. L.


L'Art libre (Bruxelles, n° 8, août 1921, p. 129).


LA COLLECTION BOSSARD
L'éditeur Bossard continue sa belle collection des Chefs-d'oeuvre méconnus. Quatre volumes y ont paru successivement depuis que nous n'en avons plus parlé ici.
Le premier d'entre eux, on s'étonne un peu de le trouver dans cette série d'où, par définition, les livres célèbres sont bannis : ce sont les Sonnets pour Hélène de Ronsard. Cependant, à le parcourir et à lire la remarquable préface de M. Roger Sorg, on comprend l'idée qui a conduit le directeur de la collection à y introduire ce recueil. Ronsard est méconnu, malgré sa gloire. Il suffit de voir l'extrême diversité et la richesse des Sonnets pour Hélène pour avoir l'injustice des anthologies et des manuels qui l'enferment dans deux définitions et dans quelques strophes toujours identiques. L'importance de Ronsard n'est pas seulement d'ordre philologique ou historique, comme on le dit souvent. Elle est d'ordre purement littéraire, et c'est la diminuer que de réduire son génie au rôle d'initiateur.
Le deuxième volume réunit les principaux essais critiques de Sainf-Evremond. Figure troublante et, somme toute, d'un commerce plus instructif qu'agréable, cet écrivain qui a fondé, dans sa forme moderne, la critique d'art et qui, à beaucoup de points de vue, mérite d'être appelé le Sainte-Beuve de son temps, est entouré, comme le fait spirituellement observer Maurice Wilmotte, d'une infranchissable barrière d'ignorance, voire de mépris. Il mérite mieux cependant, moins par l'attrait des opinions qu'il émit sur ses contemporains, que par l'intérêt permanent de ses réflexions sur les principaux –genres littéraires, et sur l'oeuvre des anciens. Je citerai tout particulièrement à cet égard ses Notes sur la tragédie et son Jugement sur Sênèque.
Le troisième volume groupe, après une préface de M. Gonzague Truc, quelques Sermons de Bourdaloue. Bien que cette réhabilitation ne me paraisse pas extrêmement nécessaire, il faut reconnaître qu'elle est complète. Plaidoyer habile, et exemples bien choisis replacent Bourdaloue au premier rang des orateurs sacrés.
Quant au quatrième volume, qui réunit {'Entretien entre d'Alembert et Diderot et le Rêve d'Alembert de Diderot, il est d'un intérêt captivant et il requiert l'attention plus impérieusement que les autres. On se réjouit de posséder dans une belle édition ces deux morceaux de choix d'un homme qui, lui aussi, n'a pas encore été mis à sa place, et s'il m'est impossible de parler ici en quelques lignes d'un aussi réel chef-d'oeuvre et d'un aussi, grand écrivain, il me faut louer sans réserves la variété de la Collection Bossard et l'éclectisme bon aloi avec lequel on préside à sa formation.
J. O.


L'Art libre (n° 3, mars 1922, p. 47).


LA COLLECTION BOSSARD
Trois nouveaux volumes ont pris leur place, dans cette belle collection des « chefs-d'oeuvre méconnus » dont nous avons déjà eu, à plusieurs reprises, l'occasion d'entretenir nos lecteurs. Et, comme toujours, ces volumes sont, dans des genres différents, très représentatifs des époques auxquelles ils appartiennent.
Il y a d'abord les « Lettres » de Racine à son fils. Dans son intelligente préface, M. Gonzague Truc nous donne un portrait de ce Jean-Baptiste Racine sur lequel, d'ailleurs, on sait fort peu de choses. L'importance documentaire de ces « Lettres » dépasse certainement leur importance littéraire, mais en partant du principe que rien de ce qui concerne un grand homme ne nous est indifférent, on peut se féliciter d'avoir entre les' mains cette lointaine correspondance.
Mais comme je préfère la «Vie de Monsieur du Guay-Trouin» ! A cette époque où le roman d'aventures s'impose partout comme un champignon vénéneux, il est agréable de rencontrer; pour l'opposer à des fantaisies par trop « littéraires », le récit coloré mais sobre d'un homme qui déroule, avec toutes sortes de précautions oratoires, ses souvenirs et l'histoire de sa vie. Henri Malo préface l'extraordinaire histoire de ce pirate devenu amiral du Roi, et défend avec brio son introduction, dans une collection consacrée à la diffusion des « Chefs-d'oeuvre méconnus ».
Quant au troisième volume de la série, il est consacré à Joseph Méry, dont notre génération ne se souvient plus et lira la longue et savante biographie (due à M. Ernest Jaubert) avec une grande curiosité. Je ne crois pas que cet oubli soit aussi injustifié que le dit M. Jaubert, ni aussi justifié que l'affirment tes professeurs de littérature. La lecture des « Quatre nouvelles humoristiques » donne à son endroit l'impression d'un écrivain certainement habile, mais d'une assez faible envergure et très rapidement essoufflé.
Quoi qu'il en soit, Racine, Guay Trouin et Joseph Méry, ces trois noms vantent l'éclectisme et la sagacité du choix auquel la collection Bossard nous a habitués depuis ses débuts.
J. O.


L'Art libre (n° 5, mai 1922, p. 80).


LA COLLECTION BOSSARD
Les livres qui forment cette importante collection se succèdent très rapidement, et on ne se lasse pas d'elle. La diversité des oeuvres qu'elle propose et leurs grandes qualités n'ont pas de meilleure sanction :
La. seule remarque qu'on pourrait faire à M. Gonzague Truc, quand il nous donne l'admirable « Coup d'oeil sur Beloeil » du Prince de Ligne, c'est qu'il élargit .excessivement, pour l'y .accueillir, les cadres d'une collection dite des « chefs-d'oeuvre méconnus ». Je ne crois pas qu'un seul lettré méconnaisse, non seulement en France, mais dans une bonne partie de l'Europe, cet ouvrage capital d'un écrivain de premier plan. Simple remarque d'ailleurs: car je ne m'arrête pas beaucoup à. l'enseigne' de la collection inscrite sur la couverture des livres et je suis fort reconnaissant à M. Gonzague Truc de nous procurer, une édition critique aussi parfaite et aussi commode de ce « Coup d'oeil sur Beloeil » dont nous étions depuis très longtemps les. lecteurs . assidus. La préface et les notes de M. Ernest de Ganay sont discrètes et précises. Et le texte est entièrement restitué. Je me résumerai en disant que l'ensemble forme un des ouvrages capitaux de la série toute entière.
Je ne partage pas la même admiration pour les « Dialogues » de La Mothe le Vayer. Ceux-ci sont plus inconnus que méconnus. Mais ils font un peu figure d'intrus- parmi les « chefs-d'oeuvre ». J'ai pour l'humanisme et lés humanistes une grande amitié. Mais qui me laisse sans courage, cependant, devant ce livre.
J. O.


L'Art libre (n° 6, juin 1922, p. 100).

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