Jeune Genet

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Grâce à Albert Dichy et Pascal Fouché, la jeunesse du matricule 192.102 de la colonie de Mettray ne nous était plus inconnu : dans sa prime enfance, Jean Genet apparaissait sous un jour clair, désencombré des voiles de l'ignorance grâce à l'archive (1). Avec la toute récente publication de ses Lettres à Ibis, c'est le "blédard" Genet en passe de devenir écrivain qui s'exprime lui-même et nous offre, en outre, l'opportunité de voir son museau de soldat trentenaire.

Particulièrement intéressantes, ces lettres dévoilent la vie du jeune Genet, dans ses années trente, qu'il s'est gardé d'évoquer par la suite. On a en outre la chance de le lire à a travers ses lettres avec le moins de filtres possible. Et il est tout interrogations, manque d'ancrage, et laisse un drôle sentiment de flottement. Son irrépressible envie de ne pas être autre chose qu'un être à fuir, son envie d'écrire... Et quand arrive le sujet de l'article qu'il se propose de rédiger sur le voyageur Michel Vieuchange, son goût du "bled" prend le dessus avec son besoin de définir, de trouver ce style qu'il sait nécessaire.

Ce parfait document de quelques lettres tourne autour de la participation avortée de Jean Genet à une revue rapidement close , Les Jeunes, lancée par Ibis, c'est-à-dire la future écrivain Andrée Pragane, c'est-à-dire Mademoiselle Plainemaison, jeune femme indépendante et pleine d'énergie bientôt danseuse et écrivain pour enfants. Tenaillé par la littérature, Jean Genet se livre à elle de manière directe et touchante. Il est plein de passion et de doutes, cherche à se forger un personnage pour exister aux yeux de cette lectrice, importante à ses yeux comme l'est toujours un premier contact humain profond parmi les êtres qui croisent dans le monde parisien des idées. Elle est féministe, libertaire, anarchiste, elle est en quelque sorte, en 1933-1934, sa première lectrice. Pour bien faire, on peut constater l'évolution de l'écrivain en sautant quelques années pour plonger dans les Lettres de Jean Genet à François Sentein, 1943-1944 (Le promeneur, 2000).

Les mêmes festivités du centenaire de la naissance de Jean Genet nous offrent de découvrir deux écrits inédits, La Sentence, un texte des années 1970 édité dans un in-quarto de bonne main reproduisant chacune des pages en fac-similé - on devine de quelle "sentence" il est question - et J'étais et je n'étais pas, forte et même bondissante réflexion sur l'identité. Jean Genet avait calligraphié ces pages et donné des indications précises pour leur publication.

Vos et sanctions, la prison où il écrivait jour après jour, en même temps qu'un seul livre, une sentence qui fut trop légèrement prononcée par des magistrats hors d'ici, couverts d'une friponnerie bouffonne et tragique. Que le droit en soit arrivé à ce qu'il est : murmure à peine audible de ce qui furent délires fastueux, acceptés comme éclaboussure du hasard, le droit, résidu d'un délire à peine audible; n'est pas la raison. Fatigué, lassé, exténué, de plus en plus imprécis, le tribunal doit savoir que cette imprécision, cette presque invisibilité ne sont pas la raison. (...)




(1) Jean Genet, matricule 192.102 (1910-1944). - Paris, Gallimard, « Les Cahiers de la NRF », 456 pages, 35 €


Jean Genet Lettres à Ibis. Présentation et notes de Jacques Plainemaison. — Paris, Gallimard, « L’Arbalète », 111 pages, 17,50 €
A noter cette curiosité dans le résumé du livre proposé par l'éditeur sur Electre : "Cette correspondance renseigne aussi bien sur la biographie du destinateur que sur la naissance de son écriture et de son style." On n'en finit pas d'inventer rue Sébastien-Bottin, mais on a connu des néologismes mieux sonnants.

La Sentence, suivi de J'étais et je n'étais pas. — Paris, Gallimard, 45 pages, 17,50 €
Et aussi — L’Ennemi déclaré, textes et entretiens choisis (1970-1983). Édition établie et annotée par Albert Dichy. — Paris, Gallimard, « Folio », 296 pages, 6,60 €

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