L'animal littéraire : le caméléon

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Du caméléon on savait l'exégèse rare. On connaissait, et pour cause, Mon caméléon, de Francis de Miomandre, référencé ici ; nous avions lu, plus ou moins fastidieusement, Les Caméléons ou les hommes d'aujourd'hui. d'Alexandre P****** (Clermont, imp. A. Veysset, 1833), et puis Les Désagréments d'un Caméléon, pamphlet politico-littéraire d'A. de Miomandre (Annecy, imp. de Ch. Burdet, 1869) — A. de Miomandre, n'est-ce pas curieux ? — dont l'épigraphe empruntée à la préface des Fleurs du Mal disait ceci :

Comme des noeuds de vipères sous un fumier qu'on soulève, il regarde grouiller les mauvais instincts naissants, les ignobles habitudes paresseusement accroupies dans leur fange.

Nous n'avions pas découvert encore Monsieur Caméléon de Curzio Malaparte dont la Table ronde donne peu à peu des écrits gouleyants.

Ce texte, publié dans la revue Chiosa en 1928 (publié à la Table ronde vingt ans plus tard) valut bien entendu à son auteur la mauvaise humeur de Mussolini. Le directeur de la revue, également directeur du Giornale di Genova, qui osa donner ce feuilleton de la meilleure eau, connut quant à lui une mise au ban radicale. Cependant Malaparte n'aura pas été le seul à critiquer vertement le chef fasciste — Giuseppe Antonio Borgese publia en 1937 le pamphlet Goliath, la marche du fascisme, par exemple (1). Mais Malaparte le fit néanmoins à sa manière toujours assez directe, avec beaucoup d'intelligence et une grande connaissance de l'histoire des idées politiques et de l'oeuvre des moralistes, français notamment. Convoqué par Mussolini, il fit face à l'orage.

Monsieur Caméléon est donc une satire, et on peut la lire en parallèle du chapitre que son auteur consacra dans Technique du coup d'Etat (B. Grasset, 1931, ch. VII) au coup d'Etat fasciste d'octobre 1922. Ce nouveau livre vaudra à Malaparte cinq ans de déportation sur l'île de Lipari...

Octobre 1922 : c'est à l'occasion de la montée sur Rome des chemises noires que Malaparte rencontra le Britannique Israel Zangwill, interpelé par des fascistes dans la gare de la capitale italienne. Zangwill, légaliste inconscient des risques qu'il avait encourus, se confia à Malaparte qui le sauvait du mauvais pas : "La révolution de Mussolini, ce n'est pas une révolution, c'est une comédie." (op. cit., p. 208). De fait, si Monsieur Caméléon n'est pas tout à fait une comédie, Mussolini comprit aisément la charge dont il était l'objet. On ne place pas un dictateur au contact d'un caméléon élevé et humanisé à sa demande, caméléon qui muera naturellement en animal politique, sans souhaiter exprimer quelque idée narquoise si ce n'est subversive. La charge est forte, les traits contre les travers de la politique Italienne tordants (libéraux et conservateurs en prenant pour leur grade), la mise à nu du fascisme assez saisissante, le parcours de la bestiole étonnant.

Mais on ne dira rien ici du destin de l'animal, non plus que de son parcours idéologique. Ce serait vous ôter tous les délices de cette fable universelle qui fit comparer son auteur à Voltaire ou à Swift.

Une question nous reste au bout de la langue : se pourrait-il que le trublion Giovanni Papini soit pour quelque chose dans le caméléon de Malaparte ?

Curzio Malaparte Monsieur Caméléon. traduit par Line Allary. Illustrations d'Orfeo Tamburi. — Paris, La Table ronde, 2011, "la petit Vermillon", 319 pages, 8,50 €



Frontispice du pamphlet d'A. de Miomandre (1869)
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Note (1) : Traduit par Etiemble et publié par les éditions Desjonquères en 1986.

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