Obtenu place Saint-Sulpice, le nouveau catalogue de la librairie Sylvain Goudemare recèle une surprise de taille : une belle partie de la bibliothèque de Lucien Biton paraît au grand jour. Son propriétaire n'en avait vendu jusqu'à sa disparition en 1993 que quelques pièces.
Lucien Biton n'est pas un personnage de première notoriété. Et pourtant... "Ramasseur" autant que collectionneur, il était né en 1902, fils d'un tailleur nantais devenu employé de la Comptoir National d'Escompte, tout prêt de l'hôtel Drouot... Il avait commencé son parcours de bibliofilou en collectionnant les Annales du Musée Guimet. Sa passion orientaliste se développa au point qu'il devint une référence en matière de textes rares et l'heureux propriétaire, dit-on, du premier imprimé terrestre connu...
Assorti d'une très belle préface, "Pour mémoire" signée G(illes) F(irmin), ce catalogue propose la partie dada, surréaliste et 'pataphysique de la bibliothèque de Lucien Biton. ça n'est pas rien, vous pouvez me croire.
D'autant qu'entre les brimborions surréalistes recueillis au fil des ans, les copies dactylographiées de correspondances et les précieux envois, on trouve une catégorie de pièces à part dans ce catalogue, les "tirés à partisanal", spécialité de Lucien Biton qui s'était constitué une documentation surréaliste, sous couvertures manuscrites, agrafée ou brochée par ses soins.
Quelques raretés et quelques étrangetés évidemment aussi, comme ce tract intitulé L'Islois de René Char, placardé nuitamment en octobre 1935 pour dénoncer un "trafic de nantis"...
Librairie Sylvain Goudemare
9, rue du Cardinal-Lemoine
75005 Paris
01 46 34 04 76
1 De cls -
Bigre.
Juste au moment où je me décide de faire un petit papier sur mon site au sujet d'un autre exemplaire retrouvé de _Mes états d'âme_ du encore très mystérieux Retoqué de Saint-Réac. Personne ne va croire qu'il s'agit d'une coïncidence. Et pourtant...
2 De ricoche -
Quelqu'un se moque de nous!
3 De Alain Paire -
Dans un livre collectif publié pour saluer les 20 ans des éditions du Promeneur, Yves Bonnefoy évoque la bibliothèque de Lucien Biton :
"Je me sentais tout de même davantage d’affinité avec l’admirable Lucien Biton, dont la splendide bibliothèque, un de ces monuments qui paraissent et disparaissent sans que mémoire en demeure, a été une des grandes chances de ma vie. Biton lui non plus n’avait guère de place : deux ou trois petites pièces dans une maison modeste, rue du Théâtre. Et il n’avait jamais eu qu’un maigre salaire dans une banque. Mais du ras du sol au plafond dans son appartement s’éployaient les plus importants autant que les plus rares des livres qui depuis, disons, le dernier tiers du xixe siècle, avaient étudié la pensée grecque, celle surtout des sophistes, la philosophie médiévale, le romantisme allemand, les religions et les arts de l’Inde, de la Chine et du Japon, les sociétés primitives. Il y avait dans un recoin la patrologie du Père Migne, achetée au papier quand Biton à Nantes, apprenti tailleur, n’avait que quinze ou seize ans. Sur une haute étagère c’étaient les imposants volumes des Proceedings of the Smithsonian Institution, qui ont failli faire de moi un étudiant des Indiens de l’Amérique du Nord. Et des tirés à part sans nombre, où se retrouvaient les premiers signes émis par Mauss, Lacan, Kojève, que sais-je ? Avec encore tout un ensemble de revues et plaquettes dadaïstes, surréalistes, que quelques jeunes gens venaient consulter, accueillis avec indulgence. Comment tout cela était-il arrivé rue du Théâtre ? Chaque soir, à sa sortie du Crédit Lyonnais, boulevard des Italiens, Lucien Biton, tout petit, précédé du nœud papillon qui surmontait son gilet bizarre et franchement démodé, faisait le tour des bouquinistes de la rive droite, pénétrant des arrière-cours, remuant de vieilles brochures, trouvant des livres précieux qu’il allait garder ou échanger.
Biton n’a rien écrit. Lisait-il ? Oui, puisqu’il extrayait des articles de revues vieilles ou récentes, pour les brocher et leur rendre vie. Oui, puisqu’il savait toujours, quand je le lui demandais, quel était l’ouvrage qui m’éclairerait, me formerait. Il percevait la beauté du Popol-Vuh dans la traduction d’Ernest Raynaud. Celle du Livre des morts de l’ancienne Égypte dans la traduction de Paul Pierret.
Biton lisait. Mais c’était la lecture d’une bibliothèque par elle-même. La conscience de soi de ce qui, grâce à son auteur, avait accédé à l’être, et devrait donc mourir un jour, hélas, comme tous les êtres vivants. Il n’y a pas de bibliothèque idéale mais il y a des bibliothèques qui ont eu la chance de vivre.
Yves Bonnefoy