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Vampires, spectres, morts-vivants, momies, monstres des temps perdus… Des tréfonds du monde et de la mémoire continuent de surgir des créatures qui viennent envahir notre espace mental. Leur éternelle renaissance semble accompagner les soubresauts de notre époque troublée. Pourquoi ce retour du refoulé ? D’où viennent ces silhouettes aussi inquiétantes que familières ? Pourquoi ne parvenons-nous pas à nous arracher aux jeux spatio-temporels du monde souterrain synonyme de menace, sinon d’anéantissement ?
Trouver des réponses oblige à recomposer la généalogie de cette verticalité en revisitant les sous-sols de la peur des XIXe et XXe siècles. Il s’agit de voir comment le potentiel fabulateur de la paléontologie et de l’archéologie a renoué un dialogue avec les ombres, ranimant des divinités jusque-là assoupies. Loin de tuer le fantastique, la science moderne, en “verticalisant” l’imaginaire, en exhumant tous les morts de l’Histoire, a réveillé ou réinventé les Anciens, les Ancêtres, les Êtres des commencements mythiques. Les arts de l’imaginaire – la littérature ou le cinéma, surtout – sont l’écho permanent de cette révolution des esprits qui n’a pas réussi à disperser les ombres du gothique ni les angoisses du monde des profondeurs. Du retour de la momie aux horreurs des tréfonds, en passant par l’archéologie fantastique, la nécromancie, l’Atlantide, la dinomania, les morts-vivants, les voyages au centre de la terre, Lovecraft, Rosny Aîné, Stephen King, Frankenstein, The Descent, l’ouvrage invite à descendre au plus profond des secrets des mondes et de soi, à se pencher pour mieux glisser son regard dans les brèches aux monstres.

De Daniel Sangsue, professeur de littérature française à l’université de Neuchâtel, on a souvenir du Récit excentrique (essai sur l’antiroman au XIXe siècle) et sur La Parodie (1994 et 2007) dont certains ont paru chez José Corti. C’est par un jeu contraint et malicieux sur son patronyme que l’auteur s’est d’abord consacré aux vampires, avant de s’apercevoir que le fantôme était une engeance beaucoup plus courante au XIXe siècle, et qu’au sujet du revenant l’exégèse était finalement assez maigre concernant ces derniers spécifiquement.

Prenant la suite de Derrida et de son « hantologie », Daniel Sangsue a donc résolu de mener à bien une histoire de la sensibilité fantomatique au XIXe siècle, sujet qui passionna au point qu’on attend toujours de trouver un écrivain d’importance qui n’ait pas, peu ou prou, consacré quelques lignes au fantôme, au revenant, non-morts, ressuscités, mortes amoureuses, réincarnés, spectres, ectoplasmes, apparitions, etc, Le fantôme fut, de fait, une préoccupation majeure et, partant, une source d’inspiration. De même, débats scientifiques, théologiques, philosophiques furent dans la foulée du romantisme noir, imprégnés de cette thématique jusqu’à l’émergence du spiritisme. Nodier, Nerval, Mérimée, Maupassant, Gautier, George Sand jusqu’à Jules Verne, Maurice Rollinat ou Henri de Régnier, quel écrivain n’a pas manipulé le suaire et le boulet ? Et ne parlons pas des tables tournantes de Champefleury ou d’Hugo…

L’ouvrage très conséquent de Daniel Sangsue débute comme il se doit sur une nomenclature et présente, d’une part les généralités historiques, linguistiques, « techniques » si l’on peut dire, de l’apparition et de la présentation physique du fantôme, quand la seconde explore les rapports entretenus par certains écrivains, peintres, musiciens, photographes avec les fantômes, enrichissant les propos des « fantastiqueurs » que sont Nodier ou Nerval par exemple, des perspectives dressées par les naturalistes forçant moins sur l’imagination que furent Champfleury ou Paul Bourget, par exemple. Abordant la pneumatologie (branche de la métaphysique qui se propose d’étudier l’esprit et les choses spirituelles) via l’accumulation de conséquentes sources de première main, c'est-à-dire la lecture des classiques mais des oeuvres de second rayon, Daniel Sangsue a usé d’une méthode faisant belle part à la sérendipité (qui a enrichit sa « collection de fantômes » amassée au fil des ans). L’effet est probant, le propos roboratif, les conclusions éclairantes. Elles mettent, notamment en évidence la « revenance des textes » et, notamment l’omniprésence, dans le cas des fantômes, du « récit de fantôme », et ce jusqu’au pastiche.

Une particularité de l’essai réside dans la non-étanchéité de la chronologie : comment exclure les fantômes tardifs d’après-1900 ? Alors que Cesare Lombroso s’intéresse toujours en 1910 à l’hypnotisme et au spiritisme ou que Paul Heuzé publie en 1921 Les Morts vivent-ils ? D’autant que le surréalisme emboîte le pas au phénomène central de la nécromancie, « dix-neuviémité » dont parlait déjà Philippe Murray dans son essai sur cette période. Le matériau critique utilisé par Daniel Sangsue n’épargne par ailleurs aucun essai contemporain et monte avec Sigmund Freud, Philippe Ariès, Jean Ziegler, Robert Harrison, Edgar Morin et Clément Rosset une annotation très riche.

Franchement, pourquoi lire autre chose cet automne que cette synthèse parfaite ? (allez, on fera l'index nous même...)




Daniel Sangsue Fantômes, esprits et autres morts-vivants. Essai de pneumatologie littéraire. - Paris, José Corti, 623 pages, 25 €

Sur le même sujet
Lauric Guillaud Le Retour des morts. Imaginaire, science, verticalité. - Editions Rouge Profond, 20 € (mais celui-ci, on ne l'a pas lu).

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