Profitons de l'été pour boucher les fissures et/ou combler les abysses de nos cultures générales. Aujourd'hui, le sonnet d'Arvers (bientôt la botte de Nevers, la gîte du Koursk, le Capital de Marx, la pipe de Bison ravi, le mur des Fédérés, etc.)
Vous avez déjà entendu l'expression "le sonnet d'Arvers" et vous ne savez pas de quel sonnet il s'agit. Vous ne savez d'ailleurs pas non plus de quel d'Arvers il est question. Voici déjà le sonnet, archicélèbre au XIXe siècle et très souvent pastiché. Il est devenu une sorte d'archétype du poème avant qu'un sale gamin aille vendre des armes en Abyssinie après avoir couché avec un vieil alcoolique barbu et lubrique.
Félix d'Arvers (1806-1850) est un troisième couteau du XIXe siècle (cf. 1) dont le poème connut la gloire car il fréquentait le bon cercle, celui de Charles Nodier, et celui de sa fille, la belle Marie, sur l'album de laquelle il rédigea ceci :
Un secret
Mon âme a son secret, ma vie à son mystère ;
Un amour éternel en un moment conçu.
Le mal est sans espoir, aussi j'ai dû le taire,
Et celle qui l'a fait n'en a jamais rien su.
Hélas ! J'aurai passé près d'elle inaperçu,
Toujours à ses côtés et toujours solitaire ;
Et j'aurai jusqu'au bout fait mon temps sur la terre
N'osant rien demander et n'ayant rien reçu.
Pour elle, quoique Dieu l'ai faite douce et tendre
Elle suit son chemin, distraite et sans entendre
Ce murmure d'amour, élevé sur ces pas.
A l'austère devoir, pieusement fidèle,
Elle dira, lisant ces vers tout remplit d'elle,
"Quelle est donc cette femme ?" et ne comprendra pas.
Félix Arvers
La version imprimée quelques années plus tard, dans un volume préfacé par Théodore de Banville. Où l'on constate qu'apparaît le sous-titre "imité de l'italien". Il se pourrait que la célébrité des vers intitulés "Secret" aient fait apparaître une source d'Italie aux inspirations de Félix.
(1) sur Félix Arvers, voir , Adoplhe Brisson. Portraits littéraires. 3e série. (Promenades et visites). - Paris, Armand Colin, 1897, p. 29 : "La Tombe de Félix Arvers".
1 De E. Panorthotès -
Cher Préfet, si je puis supposer que l'été ne vous permet pas d'atteindre tous les volumes de votre bibliothèque, je préciserai que l'on apprendrait plutôt, dans le Dictionnaire des plagiaires de Chaudenay, que c'est le sous-titre qui aurait suscité une "imitation" italienne révélée... en 1883, soit cinq ans après la publication de l'éd. Banville -- pour le reste, Chaudenay évoque (grâce à l'Intermédiaire des chercheurs zet curilleux ? je n'ai point vérifié ses sources...) comme source Le Tasse (Jérusalem délivrée, II, 16).
2 De Le Préfet maritime -
Et bien merci, un seul plagiat italien repéré ? je parie qu'il y en a plus.
Quant au Tasse, ah oui, allons voir.
3 De E. Panorthotès -
Pardon, j'ai été trop rapide... Je ne voulais pas évoquer un "plagiat" (Chaudenay signale en biblio un Dr O'Followell... auteur, en 1948, d'un volume, paru à Largentière, consacré au "Sonnet d'Arvers et ses pastiches"), mais une prétendue "source", poème italien de fait assez troublant
Un segreto ho nel core, ed un mistero
Ha la mia vita...
publié dans un Giornale di Eruditi e dei curiosi (sic) et qu'un abbé Giacomo Zanella (on savait s'occuper, en ces temps-là) aurait donc concocté, pour parler comme le Père Ubu, parce que le besoin s'en faisait généralement sentir...
Quant à la quête des "sources", il s'agit également d'une occupation hautement pataphysique : au-delà du topos (qui apparaît bien chez Le Tasse comme sans doute chez d'autres "géants"), l'essentiel est la "perfection" de la piécette -- Chaudenay, qui semble avoir pris la peine de feuilleter Mes heures perdues, estime que "le reste du recueil (...) ne vaut pas le prix du papier".