Parmi les cloches de Saint-Rombaut, à Malines
A Jef Denyn.
HEUREUX ceux qui, aux soirs d'août, entendront en France, à Saint-Amand-les-Eaux, les concerts de Jef Denyn, l'extraordinaire carillonneur de Malines.
Je n'aurais pas attendu sa venue chez nous pour voir et écouter ie prodigieux artiste et magicien qui peut, quand il le désire et rien que par des chansons, rapprocher, le ciel de la terre...
Un dimanche de Belgique, un pauvre et simple dimanche de pluie fine et serrée. Dans les anciennes et nostalgiques rues malinoises, des gens passent sans s'attarder ; et, là-bas, derrière des jardins et des toits, la haute et splendide tour de la cathédrale Saint-Rombaut troue le matin gris. Et puis, une laitière flamande cheminant au côté d'un grand chien tirant une légère carriole ; et, dans la carriole, six cruches de cuivre et reluisantes qui dansent, au gré des pavés, une gigue sonore. J'aborde la laitière :
— Pourriez-vous me dire, madame, où demeure M. Denyn ?
J'ai eu tort de prononcer Denyn à la française. La brave femme ne m'a pas compris. Essayons une autre formule :
— Le monsieur des cloches...
La laitière devient rose et rit. Si elle connaît Jef Denyn !
— C'est là, sur la place, cette maison que l'on voit d'ici...
Je ne croyais point les demi-dieux aussi aimables et accueillants.
— Monsieur Denyn, je rêve un article pour Les Annales...
— Mais oui, je ne demande pas mieux. Me permettrez-vous de vous dire, surtout, pourquoi le carillon de Malines est le plus beau, peut-être, du monde ? Seulement, nous monterons là-haut. Ce sera moins difficile.
Il parle, et ses yeux s'allument et sa barbiche tremble. Denyn a pour les carillons, en général, et le « sien », en particulier, un vieil et profond amour. Il s'apprête à m'accompagner. Je regarde, au mur de son studio, une photo du cardinal Mercier, et lis la dédicace : A notre cher et grand carillonneur... »
Nous gravissons l'interminable escalier de pierre qui mène au carillon. Avec tendresse, Denyn me conte un cher souvenir :
— Un soir que je venais de donner un concert, un homme vint à moi en pleurant et me prit les mains. Il avait écouté les cloches, des heures durant, assis sous un portail. Cet homme était Émile Verhaeren...
L'anecdote et le nom me secouent. Au-dessus de nos têtes, par blocs immenses, le son se détache du bourdon et gronde et dégringole de marche en marche. Et voici que, tout à coup, surgit l'énorme cloche : la cloche de plus de six mille kilogrammes, balancée, à coups de pied, entre quatre formidables gaillards. On se les imaginerait, pour l'effort épuisant, torses nus. Mais non. Superbes,
ils n'ont pas quitté leurs chapeaux et leurs foulards rouges. La masse de bronze s'élève, retombe, culbute et demeure, parfois, battant en l'air, immobile, une seconde, dans le vide. Je souligne de grands gestes mon ahurissement. (Le bruit est tel que, si je parlais, il pulvériserait mes paroles.)
Montons encore... Nous arrivons au tambour (figurez-vous un rouleau de phono gigantesque) du carillon mécanique. Ce tambour est percé d'une multitude de trous dans lesquels on a planté des chevilles d'acier qui sont les notes. Un seul mouvement conduit ce carillon et les aiguilles de l'horloge. Quatre fois l'heure, le tambour tourne. Au sommet de leur course, les chevilles soulèvent des leviers reliés, eux, à des marteaux frappant, plus haut, sur les parois des cloches.
Quelques dernières marches. Nous entrons dans la vaste chambre renfermant les cloches composant le carillon : les quarante-huit soeurs chantantes et précieuses et magnifiquement ciselées. Denyn me hurle à l'oreille :
— Ordinairement, les cloches des carillons sont placées sous les auvents. C'est mauvais. Le son se dilue trop vite. Ici, voyez, — il y a, des cloches aux murs de la tour, un large espace. Les sons peuvent donc se détacher, s'entremêler, se chercher et se former en bouquet pour redescendre vers le sol...
Au milieu de la chambre, une cabine où se trouve un clavier horizontal. Du clavier aux battants des cloches, des fils de métal. On dirait une cabine d'aiguilleur. Chaque fil porte un ressort qui permet au musicien les trilles... C'est, à la fois, merveilleux et enfantin.
— Toutes ces cloches sont vieilles, n'est-ce pas ?, monsieur Denyn.
— Oui, sauf celle-ci, que les habitants de Malines m'ont dédiée. Les autres datent des XVe et XVIe siècles. Presque toutes sont hollandaises. On n'en fait plus, de nos jours, de pareilles. Mais il paraîtrait qu'en Amérique...
Je ne puis m'empêcher de sourire.
Denyn dit qu'il faut entendre le carillon aux soirs d'été et voir la cathédrale s'enfoncer dans le crépuscule. Mais s'il savait l'émotion que je ressens, parmi les cloches émouvantes, à vivre là, ce matin, pendant qu'il exécute d'adorables chansons populaires du pays !
Ah ! la miraculeuse musique qui me réveille l'âme et m'étreint la gorge !
Voici l'instant inoubliable...
En bas, sur la terre, des taches vertes, rouges, jaunes, et des anges petits comme des jouets.
Lente, la procession de Notre-Dame d'Hanswiock serpente dans les rues de la ville recueillie, tandis que, très loin, à l'horizon flamand, les ailes d'un moulin se paralysent...
Robert Ganzo
Les Annales politiques et littéraires (19 août 1923)
Malines - La cathédrale.
1 De Flode -
Bonjour madame Lekti écriture, sincères félicitations pour votre site et vos riches informations !
Je suis dessinateur de presse au rythme quotidien et je cherche à proposer mes travaux à plusieurs rédactions jeunesse susceptibles de collaborer avec cette discipline ; éclairer l'actualité et les débats de façon ludique et humoristique .
En connaissez-vous ?
Cordialement
Flode
http://flode.over-blog.com
2 De grapheus tis -
Mais où retrouver ses poèmes ?
«...Et chante aussi que tu m'es due
comme mes yeux, mes désarrois,
et tes cinq doigts d'ocre aux parois
de la roche où ta voix s'est tue.
Le silence t'a dévêtue
— chemin d'un seul geste frayé —
et mon orgueil émerveillé
tourne autour d'une femme nue.
Première et fauve quiétude
où je bois tes frissons secrets
pour connaître la saveur rude
des océans et des forêts
qui font faite, toi, provisoire,
île de chair, caresse d'aile,
toi, ma compagne, que je mêle
au jour continu de l'ivoire.
Ton torse lentement se cambre
et ton destin s'est accompli.
Tu seras aux veilleuses d'ambre
de notre asile enseveli,
vivante après nos corps épars,
comme une présence enfermée,
quand nous aurons rendu nos parts
de brise, d’onde et de fumée.
Le jour. Regarde. Une colline
répand jusqu'à nous des oiseaux,
des arbres en fleurs et des eaux
dans l'herbe verte qui s'incline.
Toi, femme enfin — chair embrasée
comme moi tendue, arc d'extase,
tu révèles soudain ta grâce
et tes mains saoules de rosée.
Tes yeux appris au paysage
je les apprends en ce matin
immuable à travers les âges
et, sans doute, jamais atteint.
Déjà les mots faits de lumière
se préparent au fond de nous;
et je sépare tes genoux,
tremblant de tendresse première...»
Lespugue