Éric Naulleau milite pour le "cumul des mandales" !

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Chroniqueur historique du Matricule des Anges, lui aussi, Éric Naulleau a un peu défrayé la chronique depuis que sa collaboration avec Pierre Jourde a produit quelques éclats de voix dans les librairies de Landernau, un prix académique à double effet et, pour lui, une carrière médiatique plutôt vive si l'on en juge par le fait que les Guignols de l'Info se payent sa marionnette, privilège rare.

Pour autant, ça n'est pas cette partie people du personnage dont on se souviendra le plus puisque les voitures-balais qu'il dynamite à la télévision ou à la radio seront oubliées dans quinze jours et que nous nous battons l’œil du football auquel il a consacré une partie de son travail. Ses chroniques littéraires en revanche méritent certainement plus d'attention car il n'a jamais manqué de goût lorsqu'il parle de littérature, étrangère en particulier, et qu'il n'a ni la langue mal accrochée ni le dégoût du bon mot. Un choix de ses articles du Matricule des Anges, de Chronic'art ou de Paris Match vient donc de paraître sous le titre Pourquoi tant d'E. N. ? chroniques et polémiques, occasion de retrouver Jean-Claude Pirotte, fastueux buveur et poète ou Jorn Riel et Claudio Magris. Comme il faut assurer le spectacle, on redécouvre — avec plaisir (assumons-le) — ses annihilations écrites, ses panpanculculs radiophoniques et ses tannées télévisuelles du hérisson de Barbéry (inédit) ou du chanteur Francis Lalanne, "poète-poète" mièvre de son métier (1). Evidemment, on se marre, puisque le fait de souligner défauts et ridicules a toujours beaucoup amusé le public français. Surtout lorsque le plat est servi avec malice.

Toute la raïa de l'industrie cathodique-littéraire y passe donc : Frédéric Beigbeder, Virginie Despentes, Amélie Nothomb, Bernard-Henri Lévy, Michel Houellebecq, Christine Angot, Francis Lalanne (encore lui), Alexandre Jardin, Charles Dantzig, Guillaume Musso et l'on en oublie. Une façon de faire de la critique littéraire, pour apprendre aux lecteurs ce qu'est une platitude ou une porte ouverte lorsqu'il est question de phrases, et de glisser quand l'occasion se présente une citation plus relevée. On regrette de ne pas pouvoir en lire plus de ces dégelées, et de s'assurer que tous les cabots sont bel et bien tancés. Que n'aimerait-on lire à propos de tel comédien royaliste qui se prend pour un historien ou de telle autre baderne aussi venteuse que ces "grands comédiens français" qui courent de manière affolante les rues. Et on ne parle même pas des réalisateurs de téléfictions pourrites aux raccords foireux. Bref, on rêve et l'on s'aperçoit que, tout de même, ici ou là Paul Gadenne parvient à avoir la parole quand ce n'est pas Borgès ou Salinger. Au cœur du Saint Spectacle automatisé et obligatoire, au milieu de ses gargouilles grotesques, des créateurs dignes peuvent paraître quand on le désire. C'est probablement la meilleure leçon du livre : la culture peut proliférer... si l'on en fait l'effort.

Alors évidemment, les épigrammes en vers d'Éric Naulleau ne valent peut-être pas celles de Voiture mais, après tout, reste la chronique, indétrônable. C'est elle qui nous renseigne sur notre époque et permet de prononcer le nom de ces écrivains lumineux, vibrants et parfois douloureux que Michel Drucker ne prononcera jamais.


Éric Naulleau Pour quoi tant d'E. N. ? Chroniques et Polémiques. — Paris, Jean-Claude Gaswsewitch, 2012, 376 pages, 20,90 €



(1) Mais aussi, Éric Naulleau peut l'ignorer, mécène d'une remarquable collection de poétique à l'enseigne des Belles-Lettres.

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