Les sources graphiques du surréalisme révélées

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Était-ce son but ? En mettant en valeur cent cinquante unes magnifiques du supplément dominicale du Petit Journal, Bruno Fuligni vient de dévoiler une source fondamentale de l'histoire culturelle du siècle dernier. Bien connue des amateurs d'histoire et d'images, cette fameuse entreprise de création d'icônes qu'était Le Petit Journal aux temps d'avant le téléphonographe (1923) a abreuvé la France d'icônes.
Fruit d'un temps désormais réduit aux clichés - par la magie même des images colorées qui nous le montre - Le Petit Journal a bénéficié de la qualité fabuleuse d'illustrations qui emportaient le lecteur — et il a fait un tantinet plus.
Les couleurs n'y étaient pas pour rien, bien entendu, comme l'extrême adresse des illustrateurs, rodés à l'expression des symboles et des attributs et à la narration figée des drames, des batailles et des hauts faits de l'homme moderne d'alors. Depuis les « canards sanglants » d’Ancien Régime, le faits-divers constituait pour la presse la plus populaire une matière de première importance. Sa préférence allait naturellement aux événements sanglants et sordides. Les feuilles mettaient volontiers en scène drames familiaux, accidents, attentats, duels (beaucoup de duels) et tout autre crime commis par les « apaches », « surineurs », « chauffeurs » ou, plus tard, par les fameux « bandits en auto », tous personnages et épisodes que l'on retrouve ici.
Les progrès techniques de l’imprimerie autorisant une large utilisation des couleurs n’eut pas pour effet de limiter les à-plats de rouge « sang de bœuf », bien au contraire, tandis que la vente à la criée des journaux ne pouvait quant à elle qu’exciter la curiosité des passants, des badauds, parmi lesquels les fils de bourgeois et les apprentis poètes à vocation bouleversante.
Ainsi, Bruno Fuligni, tout en rendant à l'image d'actualité d'avant les fresques cinématographiques et son lustre et son rôle vient de nous mettre sous les yeux le matériel essentiel dont usèrent des jeunes gens pleins d'ambition, qui, guidés par le plus ambitieux de la bande, devinrent les surréalistes. Ils n'étaient en réalité que les périrréalistes. A contempler le scaphandrier attaqué par une pieuvre (juin 1912) et ces accidents ferroviaires si complaisamment reproduits, ces coups de revolver et ces incongruités sociales que sont le duel d'amants, on constate les points communs. Et la mode du revolver et de l'attentat qui suscita chez ces jeunes bourgeois tant de frénésies et de désirs homicides, portant le tir aveugle dans la foule au rang de geste etc., ne contredira pas certaines pages, automatiques ou "inspirées". Bref, la poétique surréaliste revient nettement à l'esprit l'on a sous les yeux les paysages que contemplaient ses concepteurs. Éloquente leçon qui nous apprend comment s'attrape l'inspiration.

Transcendé par Robert Desnos, celui qui de la bande avait la plus belle étoile au front, ce riche imaginaire devint la source de ses chefs-d’œuvre et de ses fééries. On peine d'ailleurs à trouver un équivalent...

En résumé :
La Belle Époque, son actualité et ses faits divers (ses guerres, ses voyous, ses affaires politiques, ses attentats, ses duels) ;
Des illustrateurs et des graveurs d'un talent inouï ;
Une poésie intense parfois ;
L'exotisme de la Colonie (il n'est pas sans sel de savoir ces cent cinquante images réimprimées en Chine) ;
La puissance évocatrice du revolver.

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Bruno Fuligni Les Frasques de la Belle Époque. Les plus belles unes du Petit Journal. — Paris, Albin Michel, 239 pages, 39,90 €

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