Sale retour d'URSS

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Parce que l'été est aussi l'occasion de lire des documents importants, cette page de l'éditeur de La Véritable Tragédie de Panït Istrati, un livre qui était attendu depuis très longtemps :


Entre 1927 et 1929, Nikos Kazantzaki, Panaït Istrati et leurs compagnes respectives – Eleni Samios et Bilili – entreprennent un long voyage en URSS, afin de témoigner favorablement de l’avancée de la révolution. Inédit en français, le présent récit d’Eleni Samios-Kazantzaki est celui de l’aventure qui conduisit les quatre jeunes gens épris de découverte – et révolutionnaires dans l’âme –, depuis Moscou jusqu’aux confins centre-orientaux de l’URSS. À l’occasion de ce voyage, Panaït Istrati, d’abord enthousiaste partisan de la révolution, dut brutalement déchanter, ayant constaté les dérives et les abus de la bureaucratie soviétique encore naissante.

Le livre
La Véritable tragédie de Panaït Istrati offre un témoignage important sur ce voyage. La compagne et future épouse de Kazantzaki, Éléni Samios (1903-2004), le rédigea en français peu après la mort d’Istrati, en 1935. Une traduction espagnole fut publiée en 1938 à Santiago du Chili par les éditions Ercilla qui avaient déjà publié son livre sur Gandhi, un livre de Kazantzaki (Le Jardin des rochers) et Destin d’une révolution de Victor Serge. Il n’a jamais été republié. L’original français est resté inédit.

Ce récit, qui se lit d’abord comme un récit, rédigé d’une plume enjouée, spontanée et alerte, a ainsi été rédigé en hommage à Istrati. Il relate de façon très vivante les différentes étapes d’un voyage de plus de 7 000km dans la Russie soviétique, notamment en sa partie centre-orientale (après un passage par Moscou  : Kazan, Astrakan, l’Arménie et la Géorgie), où l’éloignement du pouvoir central rend possible l’expression des cultures locales, et patent le dysfonctionnement des réformes engagées par l’État central. On y découvre un Istrati fébrile, déjà malade, mais animé par la volonté farouche de déceler, derrière les apparences et les discours partisans, la réalité d’une révolution à l’issue encore incertaine, quelques années après la grande famine de 1921-1922 – dont le souvenir est alors encore très vif –, la mort de Lénine (1924), et alors que la contre-révolution stalinienne n’est pas encore achevée.

Au fil du texte, le désaccord entre les deux écrivains et amis s’aggrave, bien que leur amitié demeure solide. Certaines de leurs conversations, rapportées par Eleni Samios-Kazantzaki témoignent de l’interrogation sincère d’Istrati sur sa capacité à rendre compte de la réalité « de terrain », sans pour autant abandonner sa confiance dans la révolution. Encore davantage peut-être, du violent conflit intérieur résultant de sa double volonté, en partie contradictoire  : celle de rendre compte de la réalité – fut-ce contre la révolution –, afin d’en sauver le cours.
Ce conflit fut tranché par la parution, dès 1929, du premier volume de son ouvrage Vers l’autre flamme (dont les volumes II et III furent rédigés par Victor Serge et Boris Souvarine). Considéré comme une attaque contre les intérêts de la révolution russe, cet ouvrage suffit à ternir durablement la réputation de son auteur, dont les œuvres sont longtemps restées dans l’oubli.

Extrait 1
« Un homme sera le héros de ce livre, un homme frisant la cinquantaine, hâve, à la poitrine creuse, aux bons yeux inquiets et avides, aux gestes brusques, à l’âme vaste, toujours en ébullition, semblable au pays qu’il tentait de connaître. Un homme sera mon héros, cependant je parlerai encore d’un autre homme, son frère-et-compagnon-de-route en ces temps-là, ainsi qu’il aimait à l’appeler. Et je parlerai aussi de la très douce Bilili, Bilili la silencieuse, aux yeux sévères de madone byzantine, la compagne de ces jours fertiles en bonheur, en évènements tristes, en nobles idées… Et je me vois encore obligée d’esquisser – très légèrement – la quatrième figure de ce quatuor vagabond, une jeune grecque qui a ouvert son cœur, ses yeux et ses oreilles et ne pourra plus oublier ce qu’elle a vécu pendant cette année soviétique. Voici donc ces êtres donquichottesques en marche vers Nijni-Novgorod et sa fameuse Yarmarka. »

Extrait 2
« Par l’intermédiaire de Lounatcharski et de la très serviable Olga Kameneva, nous recevons chacun deux petites cartes nous permettant le libre parcours sur tous les chemins de fer et les bateaux soviétiques. Heureux, nous serrons nos bricoles et commençons le fameux pèlerinage qui devrait durer deux ans et finir par un chant d’apothéose sur la Russie soviétique. Malheureusement, et sans crier gare, l’affaire Roussakov se dressa devant nous comme une hydre à mille têtes et nous brisa les reins. »

Note sur l’affaire Roussakov
« Le 1er février 1929, Victor Serge communique à Panaït Istrati un article de la Pravda de Leningrad accusant son beau-père, A. I. Roussakov, d’être un koulak, un nepman… Ce tissu de diffamations se terminait par une comparaison entre Roussakov et un assassin récemment fusillé. Le fait que cette famille occupe à Saint-Pétersbourg un grand appartement est l’alibi de cette diatribe (en fait neuf personnes dorment dans quatre chambres  !). La famille est connue pour sa dissidence, d’autre part une virago intrigue pour déloger les Roussakov du logement. Il en fallait beaucoup plus pour intimider ces personnalités forgées par l’opposition. » Repris de J.-F.Bacot, « Panaït Istrati  : ou la conscience écorchée d’un vaincu », Mœbius   : écritures/littérature, no 35, 1988, p. 95-114.



Eleni Samios-Kazantzaki La Véritable Tragédie de Panaït Istrati. Édition établie par Maria Teresa Ricci et Anselm Jappe. Présentation et postface d’Anselm Jappe. Note bibliographique de Daniel Lérault. - Paris, Éditions Lignes 352 pages - 23,00 €

Eleni Samios-Kazantzaki (1903-2004)
Née à Athènes en 1903, Eleni recontre l’écrivain grec Nikos Kazantzaki, l’auteur de Zorba le Grec et de nombreux autres romans, en 1920, puis devient son épouse en 1945. Ensemble, ils se lient d’amitié avec Panaït Istrati et sa propre compagne, Bibili, en 1927, lors de la célébration en Russie du 10e anniversaire de la révolution. Débute alors le voyage dont le présent récit, qu’Eleni rédigea pour rendre justice à son ami, retrace les étapes.

Panaït Istrati (1884-1935)
Romancier roumain de langue française, Panaït Istrati a découvert les œuvres de Romain Rolland après la première Guerre mondiale. Il lui adresse alors son premier roman et se lie d’amitié avec lui. Dans les années vingt, il se passionne pour la révolution russe et devient compagnon de route du parti communiste. Accueilli et fêté en URSS lors du 10e anniversaire de la révolution, il y séjourne à plusieurs reprises. Son engouement affiché pour la révolution lui vaut de pouvoir voyager sans escorte. Parmi les tout premiers, il devine alors, dès 1927-1929, la réalité de la dictature stalinienne. Son destin et sa réputation basculent lorsqu’il fait paraître Vers l’autre flamme, confession pour vaincus, dans lequel, sept ans avant le Retour d’URSS d’André Gide, il dénonce avec une grande virulence l’arbitraire du régime soviétique. L’ouvrage, en trois volumes, est en réalité co-écrit avec Boris Souvarine et Victor Serge. Victime d’un violente campagne de dénigrement de la part des communistes, il se retire en Roumanie, où il meurt de tuberculose en 1935, à l’âge de 51 ans. Panaït Istrati continue à être un auteur très lu – ses œuvres littéraires complètes ont été republiées récemment par Phébus en trois volumes. Il a également l’immense mérite d’avoir été – avec Victor Serge, dont, il était proche – l’un des tout premiers critiques « de gauche » de la contre-révolution stalinienne en URSS avec son ouvrage Vers l’autre flamme (1929), qui lui a valu une campagne de calomnies de la part des staliniens. Dans ce livre, plusieurs fois réédité, il relate notamment les seize mois passés en URSS entre 1927-1929 avec l’écrivain grec Nikos Kazantzaki et leurs compagnes respectives, Bilili et Eleni Samios. La rencontre avec Victor Serge fut alors décisive pour ouvrir les yeux des voyageurs sur la réalité de l’URSS (nous reproduisons en annexe les lettres adressées en 1929 et 1931 par Victor Serge à Panaït Istrati). Cependant, Nikos Kazantzaki ne partage immédiatement la réaction virulente de Panaït Istrati, et les deux amis se quittent sur un désaccord. Ils reprirent contact par lettre quelques années plus tard, jusqu’à la mort d’Istrati (leur correspondance est donnée en annexe du présent ouvrage).

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