La Bonne Louise (Fanny Clar)

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La Vierge rouge

La Bonne Louise


Ces jours derniers, a eu lieu au cimetière de Levallois-Perret, une émouvante cérémonie sur la tombe de Louise Michel. les travailleurs de la région parisienne avaient tenu à venir rendre hommage à celle qui défendit si vaillamment et si éloquemment leur cause. Floréal publie d'autre part des photographies de cette manifestation et nous avons demandé à notre collaboratrice Fanny Clar de dire ici, en quelques lignes, ce que fut la vie de dévouement de a la Bonne Louise.


A Conches, petit village de Seine-et-Marne, non loin de Lagny, naquit, en 1835, celle qui devait, un jour, être baptisée La Vierge rouge.
Louise Michel fut une enfant tranquille, une jeune fille que ses maîtresses aimaient pour sa douceur. Mais déjà brûlait en elle cette flamme qui devait la dévorer jusqu'à sa mort, l'ardente bonté qui fit d'elle une mystique du sacrifice.
Toute jeune encore, Louise veut être Institutrice. Sa vocation est là, ne peut être que là, dans ce métier qui exige un dévouement de tous les instants, le don total de soi. Aussi, le devient-elle et, plus tard, quand la République, dont elle aida la naissance, l'aura envoyée en exil, elle instruira ses camarades ignorants, elle apprendra à lire et à écrire aux enfants de Numbo, où vivent les déportés, en Nouvelle-Calédonie.
La jeunesse de Louise fut imprégnée de ces théories, déclarées utopistes ou subversives, qui couvaient sous la répression des agents de l'Empire. Elle va, d'instinct, vers ceux qui les professent. Tout en continuant son humble tâche d'éducatrice, elle marche déjà dans son rêve d'émancipation. L'idéal avait un nom, presque un visage. Il s'appelait République. Bien avant qu'elle ne fût là, elle existait déjà pour ceux qui, avec dévotion, murmuraient à voix basse son nom vénéré.
Louise est institutrice rue Oudot, jusqu'à un peu plus de vingt-deux ans. Puis cela ne suffit plus à son apostolat. Il lui faut la tribune pour appeler le peuple au réveil. Il lui faut aussi cette autre tribune, le journal.
Les voix sont étouffées qui osent s'élever. Le mouchard est roi, le complot policier triomphe. J.-B. Clément peut chanter :

Le pain est cher, l'argent est rare,
Haussmann fait hausser les loyers,
Le gouvernement est avare,
Seuls les mouchards sont bien payés !

Mais déjà Victor Hugo signait Napoléon le Petit, terminait Les Châtiments, et Rochefort promenait sa Lanterne sur les événements.
En 1864, à Saint-Martin-Hall, à Londres, un meeting avait lieu à l'occasion de la Pologne malheureuse. On parla de ce martyre, puis le débat s'élargit, engloba bientôt le monde ou, partout, les déshérités étaient le nombre, alors qu'ils pouvaient devenir la force. Louise Michel s'écrie :
« Les Polonais souffrent, mais il y a par le monde une grande nation plus opprimée, c'est le prolétariat. »
Aux acclamations d'une assemblée enthousiaste, l'Internationale est née. Elle publie des manifestes, dont elle inonde l'Europe. L'Empire prend peur, la déclare Société secrète ; ses membres sont traités de malfaiteurs. Tout en participant au travail des Internationaux, Louise Michel n'est pas encore inquiétée. On ne trouve pas son nom parmi ceux des compagnons traqués et emprisonnés.
Vient 1870, l'assassinat de Victor Noir, par le prince Bonaparte. On dirait qu'un signe mystérieux du destin des peuples veut qu'un cadavre marque le seuil de toutes les époques tragiques de leur histoire. Aux funérailles de Victor Noir, Louise Michel est habillée en homme, serrant contre elle un poignard volé chez son oncle. La mort passe dans l'air et Paris est secoué d'un immense frisson. Seules des charges de cavalerie ont lieu. Aucun événement trop grave ne se Elle était République devait attendre son heure. Elle était proche, d'ailleurs. La guerre allait jeter bas l'Empire et faire luire le jour tant espéré.
Quand vinrent les désastres, à la nouvelle de Strasbourg en danger, commence le premier mouvement insurrectionnel où Louise Michel agit. On a déposé sur les genoux de la statue de Strasbourg un livre ouvert. Quantité de femmes, dont beaucoup d'institutrices, viennent y signer un engagement volontaire. Avec Andrée Léo, Louise Michel est déléguée pour aller réclamer des armes. Reçues à l'Hôtel de Ville, elles y sont tout simplement retenues prisonnières tout un jour. Durant ce temps, on apprend la reddition de Strasbourg.
La haine contre l'Empire devient une formidable colère. On parle de sorties en masse, on crie, enfin, ce qu'on chuchotait : « Vive la République ! »
Et Louise Michel, qui a écrit un bon nombre de poèmes, dont l'inspiration vaut, parfois, mieux que la forme, trace fiévreusement ces vers :

La république universelle
Se lève clans les cieux ardents,
Couvrant les peuples de son aile
Comme une mère ses enfants.

A l'Orient blanchit l'aurore !
L'aurore du siècle géant.
Debout ! pourquoi dormir encore ?
Debout, Peuple, sois fort et grand !

Le 31 octobre, répondant à l'invitation, le peuple crie : « Vive la Commune ! »
Louise Michel va vivre son rêve. Je n'ai point la prétention, en cet article, de retracer la vie de Louise à cette époque. Elle est de toutes les batailles et cette phrase d'elle l'explique tout entière : « La première fois qu'on défend sa cause par les armes. on vit la lutte. si complètement qu'on n'est plus soi-même qu'un projectile. » C'est bien ainsi qu'on la voit à travers les balles, sa taille mince drapée de l'écharpe rouge, ses cheveux courts flottant autour de sa tête énergique, où les yeux éclairaient le visage d'une lumière.
Les combats ne l'empêchent point de donner son activité aux cours du soir. Elle en a trois : la littérature, la géographie ancienne, le dessin. Toutes ces leçons, d'ailleurs, sont des prétextes à la plus ardente propagande. La besogne de Louise ne s'arrête pas là.
Elle est du Comité de secours pour les victimes de la guerre, du Comité de la Patrie en danger, des Ambulances, de la Marmite révolutionnaire, où venaient manger tous ceux qui avaient faim. Emprisonnée après le 31 octobre, relâchée, elle est partout où son zèle est nécessaire. Jour et nuit, elle est sur la brèche et c'est le plus magnifique exemple de tendresse humaine que la vie de Louise Michel en ces moments tragiques, de cette vie qui, autour d'elle, selon sa propre expression, flamboyait, tant on avait hâte de s'échapper du vieux monde.
Le 2 avril, alors que le Gouvernement de la Commune fonctionnait, le canon tonne sur Paris. Ce sont les Versaillais qui viennent abattre le mouvement pour tuer la Commune.
Le 21 mai, la Commune commençait à mourir.
Louise Michel participe à ses dernières luttes jusqu'à son arrestation. Alors, c'est le chemin de Satory, puis celui de Versailles. Ce sont les cortèges de prisonniers que viennent insulter, frapper, une bande de jeunes gens et de femmes ivres de leur peur passée et de leur rage de vengeance.
Au mois de décembre, commença le procès de Louise. Elle a trente-six ans. Voici comment la décrit un journal bourgeois, Le Droit :

Elle porte des vêtements noirs ; un voile dérobe ses traits à la curiosité du public fort nombreux ; sa démarche est simple et assurée, sa figure ne révèle aucune exaltation.
Son front est développé et fuyant ; son nez, large à la base, lui donne un air peu intelligent ; ses cheveux sont bruns et abondants.
Ce qu'elle a de plus remarquable, ce sont ses grands yeux d'une fixité presque fascinatrice. Elle regarde ses juges avec calme et assurance, en tout cas avec une impassibilité qui déjoue et désappointe l'esprit d'observation cherchant à scruter les sentiments du cœur humain.

Louise Michel ne veut pas être défendue. Elle revendique hautement ses actes, réclame la peine de mort. Ce fut la déportation dans une enceinte fortifiée.
Le mardi 24 août 1873, à dix heures du matin, après avoir embrassé sa mère la veille, Louise Michel partait en voiture cellulaire jusqu'à La Rochelle, d'où elle embarquait sur La Comète, puis sur La Virginie. Les prisonniers étaient en cage. Dans la cage face à celle des femmes se trouvait Henri Rochefort. Il leur est interdit de se parler. Non seulement on se parlait, mais on s'écrivait, en vers même. Rochefort dédiait les siens à ma voisine de tribord arrière :

J'ai dit à Louise Michel :
Nous traversons pluie et soleil,
Sous le cap de Bonne Espérance ;
Nous serons bientôt tous là-bas :
Eh bien, je ne m'aperçois pas
que nous avons quitté la France.

Sitôt le débarquement, la vie s'organise dans un paysage extraordinaire, sous un ciel de feu. Des mariages ont lieu entre déportés. Ceux que l'on considérait comme dangereux étaient mis à la double chaîne, traînaient le boulet. Quelques-uns furent condamnés à mort. Un devient fou. Ceux qui essaient de s'enfuir sombrent et l'on ne retrouve même pas leurs cadavres.
L'amnistie ramène, enfin, Louise Michel en France. Elle s'installe à Levallois-Perret et reprend sa besogne. Je me souviendrai toute ma vie de son apparition sur l'estrade, la première fois que je la vis. Sa voix chantante faisait descendre sur la foule les paroles d'espoir qui ouvraient l'avenir et le halo d'une lampe semblait auréoler celle qu'on a pu si bien nommer une sainte laïque.
Malgré les désillusions, les souffrances, la Vierge rouge, que le peuple reconnaissant surnomma la bonne Louise, continua jusqu'à son dernier souffle à prédire l'avènement de l'humanité juste et libre, la radieuse aurore pour laquelle elle avait bravé la mort.
En janvier 1905, une foule immense venait à la gare de Lyon chercher le corps de Louise Michel pour la mener à sa modeste tombe. Ce fut là seulement qu'elle put goûter le repos qui était bien pour elle le sommeil venu après la journée magnifiquement remplie.


Fanny Clar.

Floréal, n° 6, 7 février 1920.


Et bientôt, sur l'Alamblog, un billet concernera l'édition de ses Trois romans (Les Microbes humains, Le Monde nouveau, Le Claque-dents) en un volume aux Presses Universitaires de Lyon par Claude Retat et Stéphane Zékian.


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