Exposition de dessins d'enfants. Un entretien avec M. George Moreau (1929)

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A propos des Œuvres des enfants, sujet que nous n'avons guère abordé ces derniers temps, voici un article de Nino Frank saluant la troisième exposition du foyer Enfance et Jeunesse de Georges Moreau, en hommage au Muzz soutenu par Claude Ponti, qui expose actuellement des oeuvres de jeunesse de la peintre Elsa Oriol au Musée national de l'éducation à Rouen (jusqu'au 31 août).


Exposition de dessins d'enfants.
Un entretien avec M. George Moreau

Le Foyer "Enfance et Jeunesse" organise cette exposition au siège du Foyer, 77, rue Denfert-Rochereau, avec la collaboration de plus de deux mille enfants de France, de toutes les régions. On leur a donné, par la voie de la charmante revue L'âge heureux, un thème qui ne pouvait qu'enchanter les enfant des villes et ceux des hameaux : De la gloire de l'arbre. Décors forestiers, buissons fleuris, feuillages, fleurs et fruits, les saisons et les travaux des scènes allégoriques, ils ont tout fait; la liberté la plus large leur était laissée. Il faut voir cette exposition : c'est un bain d'art ingénu et expérimenté, de lcaire intelligence que bien des artistes pourraient jalouser. Que de fraîcheur ! Que de malice ! Et quel enthousiasme !
Vous entrez dans une grande salle toute tapissée de dessins, de pastels, de gouaches. De loin, cela vous effraye : trop d'abondance, et aussitôt tous vos partis pris de surgir. Il suffit que vous vous approchiez de quelques dessins, choisis au hasard : le charme opère. Une chanson ténue et argentine court le long des murs, de l'étude fouillée, attentive, à l'improvisation amusante, de l’œuvrette aux couleurs foncées papillotantes, à la petite image naïve. Plus de deux mille envois, vous dit-on : vous ne vous en apercevez pas. Faut-il adresser une partie des éloges aux organisateurs de cette exposition, qui ont su choisir ? Nous ignorons s'il y a eu un choix, s'il a été indulgent ou sévère; le fait est qu'un professeur de dessin trouverait beaucoup à redire sur maints de ces tableautins, qu'il invoquerait les principes de la perspective et les droits du clair-obscur. Et après ? Cette liberté qu'on a accordée aux petits artistes, ce droit qu'on leur a offert d'exprimer leurs sentiments, leurs impression à leur aise, vaut plus que toutes les remarques aigres-douces du monde. La perspective, dites-vous ? Mais, il y a belle lurette qu'on nous a appris à nous méfier des règles trop sévères. Il y a autre chose qui compte : la vérité la plus simple, le génie de la composition, le sentiment. Or tous ces gosses dont on ignore les noms et qu'on ne peut désigner que par des numéros, en ont à revendre. Ils ont trouvé que cette idée qu'on leur proposait, de peindre quelque chose à la gloire de la nature, était belle. Il n'y a eu aucun professeur pour les pousser à y participer, personne n'est allé leur donner des conseils. ILs se sont mis devant une grande feuille de papier, la langue dehors, les cheveux sur le nez : les garçons et les petites filles, ceux des champs et ceux qui peuvent voir tous les jours des autos, des locomotives, les citadins et les paysans. Cela les amusait : et puis vraiment, c'est si beau les arbres, le soir, le jardin.
Le résultat est visible. On va s'étonner : "Pas possible, on leur a sûrement tenu la main." Pourquoi, mon Dieu ? Le résultat est là : ailleurs, à une exposition "sérieuse", après avoir vu vingt tableaux, on en a assez, il faut aller prendre un peu d'air, on a trop réfléchi, trop jugé. Ici, rien de tout cela : et il y a 2.000 envois !
Nous avons eu la bonne fortune de rencontrer M. Georges Moreau, l'animateur de cette exposition et du Foyer "Enfance et Jeunesse". Animateur est le mot juste : M. Moreau parle des jeunes exposants avec une amitié émue, un plaisir contagieux, si j'ose dire. Mais son enthousiasme est bien raisonné : il a étudié tous les envois, il connaît tous ces jeunes artistes et s'il ignore leurs visages, il voit pourtant clairement leurs sentiments, leur intelligence. M. Georges Moreau a bien voulu nous dire ce qu'il pensait de cette exposition.
— La liberté la plus grande ayant été laissée aux enfants, choix du motif, format du papier, moyens d'exécution, et le concours ne s'adressant point du tout aux écoles, les envois ont été, ainsi que vous avez pu vous en rendre compte, de la plus grande variété. Une foule de compositions sont dues à des petites enfants de la campagne, impressionnés directement par la nature, et dessinant de mémoire, naivement, inventant leurs moyens d'expression, on peut comparer les résultats obtenus, suivant que les enfants dessinent librement au pinceau, de mémoire, et à grande échelle, ou, qu'ils dessinent par les procédés imposés par les méthodes traditionnelles : sujet imposé, modèle immuable, etc. A ce point de vue, les envois de trois ou quatre écoles de l'Yonne (Avallon, Villiers Saint-Benoît, Vauxdeconne), et de l'Aube (Troyes) sont tout à fait caractéristiques. Seules les compositions des tout petits, n'ayant rien appris sont sincères. Elles sont essentiellement décoratives, comme l'imagerie d'Epinal et les dessins des Primitifs. L'enfant des hameaux n'ayant que des impressions de nature, ne saurait rien faire qui ne soit harmonieux et de bon goût. Les enfants des villes voient une infinité d'images médiocres (journaux illustrés, cartes postales, catalogues, etc.) et ce sont ces vilains modèles qu'ils copient généralement. Surtout, lorsqu'ils ont appris à dessiner et à peindre, de 12 à 15 ans. En deux mots, je crois à la nécessité de laisser toute liberté à la spontanéité des enfants, au lieu de leur imposer des modèles et des règles. On a pu dire que cette méthode du dessin spontané leur empêcherait de se perfectionner dans le dessin géométrique : c'est faux, car l'expérience nous a prouvé qu'au contraire la liberté qui leur est accordée, en aiguisant leur goût de la forme, leur donne une assurance, une exactitude qu'ils ne pourraient pas acquérir avec les méthodes habituelles. Il faut développer le plus possible leur mémoire visuelle, leur faculté d'observation : tout est là. Si on leur permettait, si on permettait à tous de dessiner librement, naturellement, comme les Japonais, on verrait revivre un art décoratif français.

C'est la troisième exposition de ce genre qu'on organisée le Foyer "Enfance et Jeunesse" et M. Georges Moreau : les deux premières ont eu lieu au Musée du Jeu de Paume et au Musée Pédagogique. Celle-ci est beaucoup plus important... Si l'on songe qu'à l'heure actuelle les enfants dans les écoles des villages n'ont qu'une demi-heure par semaine pour dessiner et qu'en général on bâillonne leur spontanéité en leur imposant des goûts et des moyens qui ne sont pas les leurs, il faut espérer qu'une telle initiative hâtera l'évolution nécessaire de ces méthodes d'enseignement.

Nino Frank




L'Art vivant, janvier 1929.

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