Tout et Rien

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Le cas mystérieux de l’Homme noir
Xavier Forneret (1809-1984) est indéniablement un cas aussi curieux que le fut Raymond Roussel. « Petit romantique » de province, son œuvre ambivalente reste un objet de curiosité, une marqueterie étrange de fulgurances dans un bain de banalités. Elle fit s’exclamer Jean-Luc Steinmetz dans la Revue d’histoire littéraire de la France durant l’été 1972 : « Il faut avant tout republier Forneret ». Quarante ans plus tard, voilà la chose advenue, grâce aux dijonnaises Presses du Réel qui viennent de produire en deux imposants volumes noirs un total de près de dix-huit cents pages. Sous la responsabilité scientifique de Bernardette Blandin, de la Bibliothèque municipale de Beaune, patrie de « L’homme noir », ce sont son théâtre, sa poésie, sa musique, ses aphorismes, ses contes, ses récits et ses romans, et même d’autres écrits variés qui, réunis, offrent toute l’étendue de son étonnante création.
En 1972, Steinmetz ajoutait que la réunion des œuvres de Forneret permettrait « de constituer ainsi un Dossier de l’écriture “illisible” où l’inconscient manœuvre en toute libéralité ses figures polyvalentes », une interrogation qui permet de rapprocher cet homme confiné dans son isolement de la littérature brute de certains hétéroclites. De fait, l’œuvre de cet impétrant doux du romantisme, étoilant parfois de fulgurances ses bovarysmes prudhommesques, ressemble parfois plus à celle d’un Bouvard et Pécuchet de la bourgeoise bourguignonne qu’à celle des grands capitaines de la librairie. Mais Steinmetz insistait avec une idée derrière la tête : « Il n’empêche que l’œuvre de Forneret est presque entièrement un tissu symptomal et que sa vie contient trop d'indices latents pour que nous négligions de les investir dans sa production littéraire » et de citer les difficultés avec la mère, l’assimilation morbide de Forneret à « l’Homme noir » (1835), l’échec de son grand drame (Mère et fille, 1855), le complexe de persécution, etc. Et ce ne sont pas les minauderies d’André Breton qui feront mieux briller l’astre du problématique Xavier : « Forneret ? Un homme que nous avons rencontré dans les ténèbres et à qui nous avons baisé les mains. » Il y a fort à parier qu’un Forneret contemporain — il en existe ! — aurait fait fuir le bisouilleur de ses empressements.
Ce qui frappe d’abord chez Forneret, écrivain de Beaune, c’est une formidable volonté de parvenir, via le succès parisien, à la reconnaissance de ses pairs. Pour lui, cela passait par le règlement des notes d’imprimerie et même par le financement des théâtres et puis, pour finir, par la création d’une troupe dédiée à ses drames et par l’investissement dans le capital d’un journal, Le Vrai Patriote (1848-1849), dont les bibliothèques ne possèdent plus que des fragments. Après Charles Monselet qui avait signé dans Le Figaro du 26 juillet 1859 « Le roman d’un provincial », les lettrés n’abandonnèrent jamais l’œuvre curieuse. Après Breton, Francis Dumont ressuscita Forneret en fournissant dans Les Cahiers du Sud en 1949 un précieux florilège des meilleures pages depuis Deux Destinées (Duverger, 1834) dont le seul titre dit toute l’originalité et dont voici l’ultime nuage, en douze pieds : « Oh ! qu’Elle se souvienne, et Elle pleurera. » En sa Bibliothèque tournante (1943), Fernand Chaffiol-Debillemont voyait judicieusement en Forneret quatre hommes : l’homme noir, maniant le sentiment macabre et le vers funèbre, l’humoriste pince-sans-rire, l'amant désespéré et, in fine, le bourgeois fade. Vinrent ensuite Willy-Paul Romain, Eldon Kaye, Jean-Rémi Dahan, qui donna aux éditions José Corti l’édition intégrale des Contes et Récits… Ce dernier avait étudié en 1993 l’histoire éditoriale des écrits et conclu lucidement son riche article (repris dans les présentes œuvres complètes) : « La cause est entendue, Forneret n’est pas un écrivain majeur : sans doute parce que faculté discriminatoire et distance critique lui firent constamment défaut ; mais il manifesta par ses ambitions une grandeur qui l’élève bien au-dessus d’un dandy banal. Il sut user de la fortune à lui confiée par le hasard pour faire venir à l’existence un art dont le monde ne voulait pas. »
L’évocation de ses seuls titres souligne d’ailleurs son penchant pour une littérature qui n’existait pas encore tout à fait (si l’on fait quelques larges exceptions comme Arago, Nodier, etc.), une modernité en voie de cristallisation dont Forneret devenait malgré lui une pièce importante : Sans titre, Encore un an de sans titre, par un homme noir, blanc de visage, Vingt-trois trente-cinq, Le Diamant de l’herbe, Broussailles de la pensée, Rien, quelque chose, Et la lune donnait et la rose tombait. N’était sa maladroite conception du monde des lettres, il y avait de l’inspiration chez cet homme-là.


Xavier Forneret Écrits complets. — Les Presses du Réel, Tome I, 980 pages, 20 €. Tome II, 798 pages, 20 € — Proses Editions Marguerite Waknine, 123 pages, 8 €

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