L'Alamblog

L'une de nos abonnées attire notre attention sur le courageux et véridique ouvrage de Marc Stéphane intitulé la Cité des Fous, qui n'a pas eu le retentissement qu'il aurait dû obtenir. De ce volume qui a été réédité par Grasset, nous extrayons ces lignes éloquentes :
"Dans cinquante ans, dans cent ans comme aujourd'hui, comme hier, il y aura toujours des bagnes (bagnes de fous, bagnes guyanais, bagnes d'enfants, bagnes militaires) où le déchet humain dans ce qu'il a de plus pitoyable, sera torturé sournoisement, ici par des chaouchs en démence alcoolique, et là par de prétendus savants dont le geste de folle incohérence prouve surtout prouve surabondamment. que Messieurs les aliénistes sont les premiers et 'les 'plus probants aliénés de leurs affreux asiles.
Oui, je dis bien : bagnes 'de fous car les asiles d'aliénés ne sont pas autre chose, avec leurs thérapeutes à la noix, leurs infirmiers ramassés dans les bas fonds où les foies sont blancs et les dalles furieusement en pente, et leur économat mercantile et rapace; avec encore cette appréciable aggravation que les pauvres bagnards de ces bagnes-là sont, eux au moins, des innocents au sens légal du mot, des irresponsables des malades dont le soin exigerait l'angélique patience des Filles de la Charité, et la guérison, le fluide de merveilleuse sérénité qui émane des Saints. Bref, là où il faudrait A demeure, si j'ose dire l'aura d'un Vincent de Paul et de ses lazaristes à l'impérieuse et consciente bonté, il n'y a, en bas, qu'un personnel de toucheurs de bœufs, des meneurs de viande sur pied, et en haut, chez les officiels, que machebrans entichés jusqu'au délire d'expériences cruelles in anima vili, et qui s'efforcent à masquer l'effarante niaiserie de leurs prétendues méthodes curatives (et d'ailleurs toutes furieusement contradictoires) sous de baroques vocables dont le pédantisme barbare suffirait à révéler leur barbarie inconsciente et leur incurable pauvreté de cœur et d'esprit : psychanalyse, psychiatrie, biocratie, psychose, etc. décidément, c'est beau, la Thérapie !"
C'est de l'asile de Sainte-Anne que l'auteur nous entretient dans cet ouvrage, asile dans lequel aucune amélioration n'a, paraît-il, été apportée.
"J'ose dire, affirme Marc Stéphane que les choses ont plutôt empiré, puisque l'usage de l'odieuse camisole de force, qu'interdisait formellement le père Magnan (le docteur Hayme de ces pages) est rétabli, maintenant qu'un fameux philanthrope règne discrétionnairement rue Cabanis.
Et pire encore qu'au temps du père Magnan, entiché jusqu'à la déraison de ce solennel ballot de faculté qu'était l'homme aux localisations cérébrales, mais cœur vraiment pitoyable, l'asile-clinique de Sainte-Anne est un enfer pour les malades, sous la dictature implacable de ce biocrate pour primaires conjurés en vue du perfectionnement des institutions démocratiques (Dumay dixit), qu'est l'inénarrable docteur T...
Lorsque je publiai, il y a vingt-cinq ans, la Cité des Fous, l'imprimeur, passablement iroquois, jugea expédient. d'égarer quelques pages du manuscrit qu'il jugeait sans doute un peu trop subversives pour l'époque. Je restitue les unes à cette nouvelle édition (tout le chapitre IX entre autres). Quant aux autres, qui confabulaient de la rage pédérastique de certains aliénés que j'avais pu observer longuement, je les boute décidément au feu. Hé, me dira-t-on peut-être, gardez-vous-en bien ! C'est au contraire le moment ou jamais. Hé bien, non, décidément non ! Sodome, Gomorrhe, Gomorrhe, Sodome, de quelque côté que souffle l'esprit, on n'entend plus résonner que ces vocables malsains autant que malséants. Et il n'est que temps de réagir. Voyons, ne pourrait-on parler d'autre chose ?"


Arts-sciences-lettres. Revue illustrée. Organe officiel de l'Union internationale des arts décoratifs, n° 160, dixième année, septembre 1931, p. 13.


Marc Stéphane La Cité des fous. Souvenirs de Sainte-Anne. Ill. Alain Verdier – Talence, L’arbre vengeur, 14,20 €