Maurice Sachs par Pierre Béarn

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Dans le nouveau catalogue de la librairie William Théry, en autres documents captivants, une lettre curieuse qui témoignent des sentiments de Maurice Sachs à l'égard de Pierre Béarn, poète, journaliste et libraire à l'enseigne de la librairie du Zodiaque. Puis un texte de ce dernier éclaircissant "Le mystère Maurice Sachs" et la question du rôle de Sachs à Hambourg, sa "Venise mélancolique".

61.- Maurice SACHS (Paris, 1906 – exécuté en Allemagne, 1945), écrivain. LAS, Paris, 16 octobre 1939, à Pierre Béarn ; 3 pp. in-8°. Déclaration d’amitié : « Vous savez que j’ai rencontré beaucoup de monde dans ma vie. Vous êtes le seul homme que je connaisse qui n’ait pas été sali par le commerce, mot terrible, occupation pire encore car elle dévore toujours un peu du cœur, même à ceux dont elle ne dévore pas toute la dignité ou l’honnêteté pour ne leur laisser que la légalité. Cette qualité serait bien belle par elle-même, mais elle en révèle d’autres que vous possédez avec un naturel surprenant. (...) Chaque fois qu’une de ces qualités se manifeste devant moi, j’en suis émerveillé et ravi : je me dis que la vie est douce quand même et bonne, puisqu’elle nous fait approcher de temps en temps (rarement hélas) des êtres aussi bien que vous, et je me réjouis d’être un peu votre ami. Tout ce que je sens et que je dis ici est assez constamment en moi pour que je soie tenté de vous le dire quand nous nous voyons. Mais quelque respect humain prend le dessus. Et c’est trop bête, me disais-je tout à l’heure. Pourquoi ne pas dire à nos amis combien nous les aimons et pourquoi. »... — En haut à gauche de la première page, Pierre Béarn a écrit : « Lettre de Maurice Sachs pour Pierre Béarn bien étonné. » 170 €
62.- Pierre BÉARN (Bucarest, 1902 – Paris, 2004), écrivain et libraire. Tapuscrit : Le mystère Maurice Sachs – L’auteur du Sabbat fut-il un agent double ? ; 11 pages in-4°, nombreuses corrections autographes. Très intéressant article d’investigation — paru dans La Passerelle n° 6, printemps 1971 — écrit par Béarn à l’époque où l’on se demandait encore si Maurice Sachs, dont les publications se succédaient à un rythme soutenu, était mort ou vivant. Il relate comment naquit leur amitié : « Je l’ai rencontré pour la première fois chez Gallimard où il dirigeait, ô merveille ! la collection des écrits catholiques. Il y eut toujours chez lui un séminariste attardé. Fort bien pourvu de vices à satisfaire, il était toujours en quête d’argent. Nous devînmes amis – et, chez lui, ce mot avait une toute autre valeur que dans les milieux intellectuels où le « cher ami » est toujours venimeux – de l’instant où je lui donnai cent francs sans qu’il me les eut plus ou moins astucieusement demandés. » En 1951, de passage à Hambourg, il se livra donc à cette enquête sur Sachs. « Etait-il mort dans sa cellule de la prison de Fuhlsbuttel, près Hambourg, pendu par ses compagnons de détention, le 3 mai 1945, puis livré aux chiens affamés dans la cour, comme le raconte son « petit ami » Philippe Manceau dans un livre immonde publié fin 1950 chez Amiot-Dumont ? Avait-il été tué sommairement par un S.S. flamand du nom de Vouth, le 14 avril 1945, à 11 heures du matin, après avoir marché durant 30 kilomètres le premier jour (...) sous prétexte qu’il ne pouvait plus suivre, pieds en sang, la cohorte des prisonniers que l’autorité judiciaire d’Hambourg avait décidé d’évacuer sur Kiev ? (...) Agent double, avait-il été sauvé par ses amis anglais afin de lui permettre de gagner les Indes et de se faire oublier, comme le croient encore ses amis allemands et ceux des Français qui survécurent à ses dénonciations et persistaient à le rechercher ? » Raymond Queneau pensait qu’il avait été tué par les Allemands « pour qu’il ne dénonçât pas aux Alliés les agents de la Gestapo qu’il connaissait. » Quant à Aragon, il affirmait qu’il avait été fusillé par les Alliés pour avoir été speaker à la radio de Hambourg. Enfin Philippe Jullian était persuadé que Sachs, réfugié en Egypte, était devenu le conseiller du roi Fouad et aurait été assassiné en 1958 par un homme qui lui reprochait d’avoir vendu à un Libanais la fille dont il était amoureux. Pierre Béarn alla se recueillir devant la tombe de Maurice Sachs au cimetière de Neumünster avant de commencer la patiente et passionnante enquête qui le fit rencontrer plusieurs familiers de l’auteur du Sabbat pendant son séjour à Hambourg, notamment l’antiquaire Friedrich Hüelsmann, chez qui il fréquentait des Allemands anti-nazis, comme l’écrivain Hans Erich Nossack. « Pour Hüelsmann, le motif de l’ arrestation fut uniquement le marché noir, avec, comme aggravation, l’homosexualité que condamnait la loi allemande. (...) En prison, où il resta du 14 novembre 43 au 10 ou 12 avril 45, soit à peu près durant dix-sept mois, que devint Maurice Sachs. Monceau est formel : il continua d’appartenir à la Gestapo et de servir de mouchard afin d’obtenir des adoucissements au dur régime de la prison. Or, Sachs ne bénéficiait d’aucun régime alimentaire privilégié. L’état dans lequel il se trouvait à la veille de la marche forcée vers Kiev est probant. Si Sachs avait continué de trahir, la Gestapo l’eut soutenu, alors qu’il continuait de dépérir, ne pouvant supporter le régime alimentaire commun. (...) La vérité est qu’à la veille de la libération de Hambourg, Maurice Sachs n’est plus qu’un corps fatigué de maigrir si bien que la version de son assassinat sur la route de Kiev par un S.S. d’arrière-garde est tout à fait plausible. Néanmoins, tous les Allemands que j’ai interrogés à Hambourg sont d’accord pour prétendre que Sachs était beaucoup trop astucieux pour être resté dans le troupeau. Werner Krauss m’a même assuré qu’il connaissait un homme qui avait rencontré Maurice Sachs, dans les rues de Hambourg, quatre mois après sa prétendue mort. Hüelsmann, l’antiquaire, s’est brusquement écrié, après une de mes questions : « Je ne croirai à la mort de Sachs que lorsque je verrai son crâne ! » Au terme de son enquête, la vérité n’est pas sortie du puits et Béarn quitte Hambourg sans avoir élucidé le mystère Maurice Sachs : « Après de longues recherches dans cette ville de Hambourg que Maurice Sachs appelait la Venise mélancolique, quelle preuve pourrait enfin nous convaincre ? » 180 €




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La photo illustrant cette page - Pierre Béarn en marin en 1940 - a été empruntée au site Pierre Véry qui consacre une page à la librirairie du Zodiaque, lancée par Véry puis tenue par Pierre Béarn de 1932 à 1980

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