A la recherche d'un portrait d'Henry Daguerches



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Alors que les précieuses éditions Kailash ont réédité il y a quelques années Le Kilomètre 83 d'Henry Daguerches - sa première version avait paru dans La Revue de Paris entre janvier et mars 1913 -, le Préfet maritime profite de l'opportunité pour lancer un appel : quelque alamblogonaute possèderait-il un portrait dudit Dagueches ?
De son nom Charles-Marie-Octave Valat (1876-1939), né le 10 mars 1876 à Toulon et mort à Marseille en mars 1939, Daguerches n'est pas un inconnu. La preuve, Hector Talvart et Joseph Place lui consacrent une notice dans leur inestimable bibliographie. Pour autant, ça ne nous apporte aucun portrait...
Après des études secondaires menées à Toulon puis à Avignon, il prépare l'École Polytechnique (1895) puis décide de s'engager dans l'artillerie de marine. Il devient capitaine avant l'âge de 26 ans et est envoyé en Chine au sein du corps expéditionnaire chargé de briser la révolte des Boxers. En 1908-1909, il séjourne en Cochinchine où il dirige l'artillerie. Il rentre en France où il est affecté à l'arsenal de Toulon. En 1912, il effectue un second séjour au Tonkin, est mobilisé lors de la Première Guerre mondiale puis retourne en 1918 au Tonkin où il prend sa retraite en 1919. Il ne quitte plus l'Indochine jusqu'à sa mort vers 1930. Il publie de nombreux contes, chroniques, nouvelles et poèmes dans la presse parisienne, ainsi que dans les revues Pages indochinoises et Revue indochinoise. A Hanoï, Daguerches-Valat était un intime du gouverneur général Pierre Pasquier et du peintre Inguimberty, et il finit même, en 1924 à être candidat à la délégation de l'Annam (élection du 2 mars 1924), avant de recevoir, ultime honneur, le Prix littéraire des français d'Asie (1930).
Il repose aujourd'hui au cimetière de Roquebrune-sur-Argens, dans le Var.




Bibliographie
Consolata, fille du soleil (Paris, Calmann Lévy, 1906 ; 1922 ; illustrations de Constant Le Breton, Librairie Lemercier, 1928, 266 p.)
Monde, vaste monde ! (Paris, Calmann-Lévy, 1909, 319 p.)
Le Chemin de Palipata (poèmes), B. Grasset, 1911.
Le Kilomètre 83 (La Revue de Paris, février-mars 1913; Calmann-Lévy, 1917 ; Edimbourg-Paris, Impr. Nelson éditeurs, coll. Nelson, n° 276 ; Calmann-Lévy, éditeurs, 1928 ; Calmann-Lévy, "Aux armes de France", 1941; coll. Le Zodiaque, 1947; Paris, Kailash, 1993, coll. "Les exotiques", postface de Jean-Philippe Geley ; in collectif, Un rêve d'Asie, Omnibus, 2000).
René Crayssac, Sous les flamboyants, Poésies. Préface d'H. Daguerches (Hanoï, Imprimerie d’Extrême-Orient, 1913).
L'Affaire du port de commerce. Aux hommes libres de Cochinchine..., Imprimerie du Centre, 1923 L'Indochine actuelle et son avenir : une critique, un programme (Hanoï-Haïphong, Imprimerie d'Extrême-Orient, 1924, 56 p.) Texte présent sur Gallica.
Emmanuel Defert, Quinze estampes. Indochine. Introduction de Henry Daguerches (Hanoï, 1926). Le Paravent Enchanté. Texte en vers d'une chinoiserie avec divertissement et machines. Le théatre et les rimes légères du Chevalier de la Mézérade, recueillis, arrangés et publiés par son arrière-petit-neveu H. Daguerches (Hanoï, Imprimerie d'Extrème-Orient, s.d. Grand In-80°, 119 pages. Poème manuscrit imprimé (de H. D.) sur la page de garde. Tirage limité à 500 exemplaires.



Lire la suite : Henry Daguerches et quelques autres par Jean Dorsenne (1932)

Henry Daguerches et quelques autres.

Autrefois - certaines villes s'honoraient - d'abriter des écrivains célèbres : Gœthe répandait sa sérénité majestueuse sur Weimar et sa cour, Voltaire jouait à Ferney le rôle de patriarche. Un voyageur se serait cru déshonoré si, traversant l'Allemagne, il ne s'était arrêté dans la petite principauté weimarienne pour saluer le père de Wilhelm Meister et l'on accourait de l'autre bout de l'Europe à Ferney pour voir le plus pur représentant de l'esprit français.
A Dieu ne plaise que j'écrase sous le poids de ces comparaisons imposantes l'écrivain d'Indochine : Henry Daguerches. Cependant, pourquoi n avouerais-je pas qu'à la perspective de sillonner notre grande possession asiatique du bas jusqu'en haut, une heureuse pensée effleura mon esprit : celle de bavarder quelques instants à Ilanoi avec celui qui a écrit en l'honneur des rudes pionniers du progrès en Indochine. cet hymne magnifique intitulé le Kilomètre 83 ! Henry Daguerches restera dans l'histoire littéraire de l'Indochine comme Rudyard Kipling dans celle de l'Inde. L'œuvre française a trouvé en lui un chantre digne d'elle.
Depuis que les moyens de communication se sont tellement perfectionnés, on va en Indochine presque aussi facilement qu'à Asnières. Chaque année, des écrivains prennent le bateau pour Saïgon ; aussi la littérature sur notre grande possession d'Extrême-Orient s'accroît-elle d'ouvrages de plus en plus nombreux et dont certains sont remarquables. depuis ceux de Dorgelès, jusqu'à ceux de Luc Durtain et de Guy de Pourtalés en passant par André Malraux, Pierre Benoit et quelques autres.
Mais l'Indochine est un pays bien captivant : c'est sans doute notre seule colonie où des écrivains se sont installés dans le pays qu'ils ont fait leur et où ils publient des livres à la gloire de leur pairie d'adoption. Sans doute un simple séjour permet-il aux passants de talent de restituer l'atmosphère de ces contrées lointaines. Cependant pour écrire un livre, à travers les pages duquel souffle cet arôme subtil et tenace de la Cochinchine, oit palpite le cœur même de Saïgon, il faut avoir longtemps vécu dans la colonie, y avoir peiné et souffert, y avoir sacrifié les plus belles années de sa vie. Ce fut ce qui arriva à Henry Daguerches. Il vint tout jeune en Indochine, comme officier d artillerie. Il était déjà l'auteur de celle fantaisie charmante que tous les esprits délicats connaissent et chérissent : "Consolata, fille du soleil". En Indochine, il eut l'occasion d'assister de près aux travaux de construction de la ligne du chemin de fer du Yunnan et il entreprit d'écrire l'épopée de ces constructeurs. non de ponts, mais de voies ferrées. Il changea le cadre de son action et la fit se passer au Cambodge. Ce récit, la vie somme toute, d'une équipe d'ingénieurs, est plus angoissant, plus haletant que le plus passionné roman d'amour, Le lecteur participe. par la magie du talent de l'auteur, à la lutte quotidienne des ingénieurs avec le sol. Il n'est pas, quoi qu'on puisse en penser, de livre moins aride : un lyrisme constamment soutenu l'anime d'un bout à l'autre. "Kilomètre 83" est à peu près unique dans la littérature française, c'est le seul livre qui magnifie l'effort français aux prises avec une nature hostile et pleine d'embûches.
Henry Daguerches qui mène actuellement à Hanoï une vie retirée, ouatée de silence, embaumée par le parfum des pavots, a un cerveau fourmillant de projets. Dans la pièce où il travaille, les manuscrits s'entassent : poèmes, contes, romans. Mais il ne publie rien : le souci de la perfection l'en empêche ainsi que le désintéressement absolu de ce que les insensés appellent la gloire. Il écrit pour lui-même, heureux lorsqu'il a harmonieusement poli une phrase. Pour répondre au désir de quelques amis, il a fait éditer récemment à un nombres restreint d'exemplaires, une sorte de pièce féérique en vers : le Paravent enchaté, et il occupe ses moments de loisir à la composition d'un ouvrage funambulesque, l'"Introduction à la vie benoîte" qui eut ravi Jarry. Dans la "Vie benoîte", les temps de guerre et de paix sont prévus. Il est stipulé notamment que les jours de victoire on illuminera et qu'entre les piles on fera le pont !
Daguerches a encore d'autres distractions. La peinture l'intéresse passionnément, j'entends celle des autres, car la plume lui suffit et il n'a jamais manié un pinceau de sa vie. Il a découvert récemment un innocent génie pictural, appelé dans son esprit, à devenir un jour le digne pendant du douanier Rousseau. C'est un coolie-pousse, un Tonkinois de la plus basse extraction qui peignait pour se distraire el dont Daguerches vit un jour un tableau. Celle peinture ingénue, ignorante de la perspective, mais avec des coloris ans, qui rendait avec tant de bonheur l'atmosphère dure, froide comme le diamant de certains paysages de l'hiver tonkinois, le ravit. Il fit au pousse une petite pension pour lui permettre de travailler, il lui fit même prendre des leçons d'un professeur de dessin. Hélas ! en acquérant dit savoir-faire l'ingénu perdait sa fraîcheur et son originalité, Daguerches s'en aperçut vite. Aussitôt il supprima les leçons et le coolie-pousse peint aujourd'hui dans la joie de l'ignorance : l'auteur du Kilomètre 83 contemple heureux les toiles de son poulain, qui s'entassent dans sa chambre.
Si Hanoï s'enorgueillit d'abriter Daguerches, Pnom-penh peut se limiter de la présence d'Eugène Pujarniscle. Pujarniscle n'est d'ailleurs Cambodgien que par accident : presque toute sa carrière indochinoise se passa jusqu'à ces derniers temps à Saïgon à Hanoï ou à il né. Mais le royaume Khmer séduit et relie, aujourd'hui, le romancier du Bonze et le Pirate de la Boucle scellée qui est aussi le polémiste sympathique de "Philoxêne ou la Littérature coloniale". Un curieux homme que Pujarniscle ! Ne parlez pas de lui dans les salons mondains de Saigon ou de Hanoï, il est honni de ces dames ! Songez donc que Pujarniscle a pris parti et combien violemment dans la querelle, toujours d'actualité en Indochine, de la mangue ou de la pêche. La mangue ou la pêche ? C'est-à-dire, la femme indigène à la peau ambrée ou la femme de chez nous à la peau blanche ? Pujarniscle, dans son Philoxène, n'a pas caché sa préférence pour la mangue, préférence dont il donne sous une forme sérieuse et plaisante à la fois, les raisons. Il se réclama notamment d'André Gide qui écrit : « Je suis attiré par ce qui reste de soleil sur les peaux brunes. » Et il trace de la femme française aux colonies, de la « dame blanche », un portrait qui pour être parfois ressemblant, n'en est pas plus flatteur.
Pujarniscle vit comme fin sage à Pnom-penh. Il aime le pays, ses habitants et ses habitantes et ses coutumes. Il a relégué au nui g as in des vieilles lunes les obligations de la vie mondaine et il travaille dans l'atmosphère qu'il aime. Il a peu d'amis, mais ils sont de choix, témoin ce Jacques Méry qui vient de publier à propos des récents troubles communistes du Centre-Annam un bien curieux roman : Cavernes qui dénote un vrai tempérament d'écrivain.
M. Pujarniscle est un homme heureux.
Au Cambodge habite également depuis quelque temps Jean Marquet. Mais c'est au Tonkin que vécut - surtout l'écrivain et c'est le Tonkin qui lui a fourni le plus émouvant motif d'inspiration. M. Jean Marquet est l'auteur de plusieurs livres, mais pour beaucoup de lettrés il restera celui de De la rizière à la montagne qui est une manière de petit, chef-d'œuvre. Jean Marquet qui a été mêlé de près à la rude existence du paysan tonkinois, lui. a consacré un ouvrage. Et parce que Jean Marquet a été ému par les malheurs de son simple héros, parce qu'il s'est substitué à lui. qu'il a pensé eu annamite, il nous fi donné un petit livre qu'il sera toujours indispensable de lire, si l'on veut connaître les mœurs familiales et pures du pauvre paysan du delta tonkinois.
Le Cambodge et le Laos ont aussi leur poète et leur romancier, en la personne de M. Roland Meyer. Tandis que M. Jean Marquet décrit avec précision, en une langue d'une simplicité et d'une sobriété voulue ; les paysages tonkinois et les âmes de ses personnages, M. Roland Meyer nous donne du Cambode et du Laos une vision lyrique et fougueuse. Saramani et Komlah sont les œuvres d'un poète qui a passionnément aimé les deux pays où il a vécu.
Rien d'étonnant si elles sont parfois injustes: un très grand amour n'est jamais impartial. La civilisation ou, ce qu'on appelle ainsi aura bientôt dépouillé de son pittoresque le vieux royaume Khmer. Saramani restera un document précieux pour les fervents dit Cambodge, de ses mœurs patriarcales et de ses petites danseuses hiératiques.
Voici donc quelques-uns des plus typiques écrivains d'Indochine. Nous pourrions en citer bien d'autres et notamment M. Pierre Pasquier, qui a conquis à juste droit ses lettres de créance de premier citoyen de l'Indochine, puisqu'il y vit depuis près de trente uns. Nul ne connaît l'Annam. mieux que lui. Il a pour ce pays un amour sincère, profond et éclairé ci cet amour il l'a traduit dans un livre ravissant où la documentation s'allie à la plus exquise poésie : L'Annam d'autrefois.
Grâce à, lui, nous revivons des scènes aujourd'hui abolies et que nous ne reverrons plus jamais. L'Annam d'autrefois est l'adieu mélancolique d'un lettré à un pays que la civilisation est en train de perdre. Ne médisons pas trop de la civilisation et du progrès : l'auteur de L'Annam d'autrefois nous approuverait, mais M. le gouverneur général nous ferait les gros yeux.

Jean Dorsenne

Les Nouvelles littéraires 26 mars 1932

En vente : Henry Dargueches, Kilomètre 83. - Paris, Kaïlash, "les Exotiques", 1996, 280 pages, 10,37 €


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