Journaux du front

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HISTORIETTES
Journaux du front
Le Cafard enchaîné, L'Echo des boyaux, La Woëve joyeuse, Le Diable au Cor des chasseurs, Le Col bleu des marins, Le Looping des aviateurs et quelques centaines d'autres feuilles des tranchées, voilà tout un coin d'histoire qui revit dans le beau livre d'Or des journaux du front que M. André Charpentier a consacré aux Feuilles bleu horizon (1).
Humbles feuillets, aujourd'hui jaunit, polycopiés à 30 exemplaires dans une cagna, où voisinaient la blague éclose au repos et le poëme en prose né dans les longues heures de garde aux créneaux. Documents émouvants certes, mais précieux aussi pour évoquer la psychologie du poilu.
Sans prétentions littéraires pour la plupart, ils étaient surtout humoristiques ; et l'humour, n'était-ce pas alors la forme la plus belle, parce que la plus sereine, du courage ?
A feuilleter les pages abondamment illustrées de ce livre d'Or, on aime voir mêlés les noms des journalistes d'occasion et ceux d'écrivains comme Dorgelès, Reboux, Lamandé ou Lefèvre.
Comme il n'y a rien de nouveau sous ie soleil, ces feuilles, souvent éphémères, eurent des ancêtres en vérité peu connus, par exemple, la Décade égyptienne, rédigée par Tallien ou le Friend publié par Rudyard Kipling durant la guerre du Transvaal.
La multiplication de ces petits « canards » dès l'année 1915, retint l'attention de l'autorité militaire. M. André Charpentier rappelle que certains généraux, trop à cheval sur le règlement, commencèrent par les interdire. Brimade inutile et maladroite. Tout ce qui pouvait occuper et amuser le soldat devait être encouragé pour lutter contre le cafard.
Le général Joffre lui-même envoya une circulaire aux généraux d'armées pour les inviter à faciliter l'éclosion de ces petites feuilles « à la condition que leur rédaction soit sérieusement surveillée ». Aussitôt une censure spéciale s'établit dans chaque division, chargée de veiller à ce que les plaisanteries, boutades et dessins satiriques ne dépassent pas une honnête mesure. Les journaux polycopiés ne connaissaient que cette censure divisionnaire ; mais ceux qui étaient imprimés devaient aussi passer à la censure civile de la ville de l'imprimeur.
Ces feuilles bleu horizon rencontrèrent un vif succès, même à l'arrière, où certains collectionneurs les conservaient pieusement. On savait qu'ils étaient tous fort pauvres ; un quotidien de Paris prit l'initiative d'une souscription en leur faveur.
Le geste était élégant, mais l'autorité militaire veillait. Si ces journaux de tranchée se mettaient à recevoir des fonds de l'intérieur, c'était la fin de leur indépendance, de leur charmante spontanéité et la porte ouverte à toutes les combinaisons, à toutes les compromissions. Les libres journaux du front ne devaient connaître, sous aucun prétexte, l'usage des « fonds secrets » !
Une fois cependant, le chef de service des journaux du front à la Maison de la Presse fit appel à eux pour insérer de la publicité ; il s'agissait, sur l'initiative du Préfet de la Seine, de recommander à tous les « bons municipaux » qui alimentaient alors le budget de la Ville. L'annonce passa dans plusieurs journaux ; chacun d'eux reçut une somme de cinquante francs non comme « paiement d'une publicité, mais comme une preuve de l'amitié » du Préfet.
Ce fut le seul subside officiel dont ils bénéficièrent jamais.
Après la guerre, on eut l'heureuse idée d'une promotion des palmes académiques « à titre militaire » pour tous les journalistes occasionnels des tranchées : nous n'y relèverons que deux noms, celui de Galtier-Boissière, rédacteur en chef du Crapouillot, toujours bien vivant, et celui de M. François-Latour, aujourd'hui rapporteur général du budget de la Ville de Paris qui inséra peut-être alors de la publicité pour les bons municipaux dans l'Echo des Marmites.

Georges Mongrédien

(1) André Charpentier, Feuilles bleu horizon : le livre d'or des journaux du front, 1914-1918. - Éditions des Journaux du front. Nouvelle édition 2007 (Triel-sur-Seine, Italiques)


Les Nouvelles littéraires, 7 mars 1936


Sur le sujet
Tous les journaux du front. Préface de Pierre Albin. - Paris, Berger-Levrault, 1915. Gr. in-8°, 112 p., fig., fac-similés
Publications sur la guerre, 1914-1915. Livres, estampes, albums illustrés, revues, journaux du front. I. 1914-1915 ; II. 1916. - Paris, Cercle de la librairie, 1916-1917, 2 vol.
La Presse du front. Bulletin de l'A.J.F. (Amicale des journaux du front) juil. 1917 (n° 1)-... ; devenu : "L'Ex-Presse du front. Organe mensuel de l'Amicale des journaux du front. déc. 1919 (n° 1)-1929 (?), puis le "Bulletin de l'Amicale des anciens journalistes du front. févr. 1931 (n. s. n° 1)-...
Annuaire de l'Amicale des Journaux du front, fondée le 4 octobre 1919. Année 1930. - Paris, 14 bis rue Torricelli, 1930.
Journaux de tranchées : les feuilles du Musée historique Collection Clerc, exposition été-automne 1976, Besançon, Palais Gravelle. - Besançon, Musée historique, 1976, 32 p.
Jean-Pierre Tubergue Les Journaux de tranchées : 1914-1918. Préface de Jean Rouaud. - Italiques, 1999, 159 p.
Marcelle Cinq-Mars L'Echo du front : journaux de tranchées, 1915-1919. Préface de Frédéric Rousseau. - Outremont (Québec), Athéna, 2008, 223 p.
Benjamin Gilles Lectures de poilus : livres et journaux dans les tranchées, 1914-1918. Préface de John Horne. - Paris, Autrement-Ministère de la défense, Secrétariat général pour l'administration, Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives, 2013, 329 p.


Vignette extraite de Chair à canon. La simple vie des hommes en guerre d'Alexandre REnaud. - (Paris), Le Courrier, 1935.

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