Chez un mandarin

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Chez un Mandarin

M. Francis de Miomandre qui pour relier ses plus beaux livres choisit un satin fleurs et du crêpe de Chine, aime trop les plaisirs délicats, et ces petits bonheurs subtils dont notre temps n'a plus guère la notion pour qu'on s'étonne de lé voir porter chez lui un pyjama-pagode dont les manches dociles à ses gestes décrivent mille arabesques. M. de Miomandre habite rue Théophile-Gautier, et, de chez lui, l'on s'étonne qu'en vérité Auteuil soit un quartier qui ressemble si fort à l'Extrême-Orient. Les fenêtres encadrent un paysaqe où 1l y a des cyprès et mille arbres capricieux comme sur les estampes japonaises que M. Francis de Miomandre a mises au mur, sur sa bibliothèque, sur son pyjama même, fallait dire sur son visage. Mais chaque soie, chaque estampe cache les livres les plus graves et les plus beaux. Ce qu'on pourrait appeler le nipponisme familier de Francis de Miomandre n'est point signe de quelque goût frivole, et si l'auteur de "La Naufragée" est sensible aux plaisirs à fleur de peau et se réjouit de la panne mauve de son salon et d'une étoffe sablonneuse qui fait de son bureau de travail une charmante place, où pour ne pas avoir la tentation de se promener pieds nus, il a mis une plaque de verre, si M. de Miomandre aime tant à jouer avec les manches de son pyjama-pagode, il n'en est pas moins l'un des plus graves et des plus avertis ; il va chercher dans sa bibliothèque un exemplaire des Chants de Maldoror et rappelle qu'il fut un des premiers à admirer le fameux comte de Lautréamont condamné (sans appel, semblait-il en d'autres temps), et que M. Francis de Miomandre défendit alors envers et contre tous.
M. Francis de Miomandre. assez sage pour ne point se jeter au milieu (le toutes ces petites manœuvres turbulentes qui font, seIon lui, des simples agités de ceux qui furent d'abord de vrais artistes et de vrais hommes sensibles, n'en est pas moins capable d'une action directe. C'est lui qui, par un article dans Paris-Soir, a déclenché la campagne en faveur d'Unamuno. Aussi Espagnol que Chinois et écrivain bien parisien, M. Francis de Miomandre trouve une surprenante gravité pour parler de la malheureuse condition faite aux intellectuels espagnols, et surtout au Recteur le l'université de Salamanque envoyé aux Canaries, et il précise : « Il y a deux sortes de Canaries, les Canaries portugaises, qui sont un paradis terrestre, et les Canaries espagnoles qui sont un enfer terrestre. Bien entendu, le Dictatoriat n'a pas envoyé Unamuno au paradis terrestre, et le déporté se trouve dans un vrai cachot. où il n'a pas d'eau à boire, où. les conditions de vie sont épouvantables."
M. Francis de Miomandre, assez mandarin, répéterai-je, pour ne se point soucier des agitations politiques, insiste néanmoins sur la misérable existence actuellement réservée aux écrivains espagnols ; il oublie la panne mauve, les grandes manches, les cyprès, les estampes, Auteuil, et parle avec une véritable ferveur.
Il n'est point facile de quitter un écrivain qui a tant de gestes. de mots, de paroles et de souvenirs, il a mille livres à montrer, mille histoires à raconter, mille auteurs à présenter ; et c'est ainsi qu'il ne quitte une bibliothèque que pour se précipiter sur une autre et va de Claudel à Rimbaud, de Lautréamont à Max Elscamp (sic) et de Montherlant à un de ses précurseurs ignorés, Jean Reutlinger, mort pour la France, dont il réunit, lui-même les écrits. Il ouvre ce livre à une page souvent lue et montre un morceau intitulé : Bouin parcourt dans la demi-heure 9 k. 721 m. record du monde, et etxplique-t-il, ces pages furent écrites en un temps o l'on ne parait pas encore de jeux olympiques.

Les Nouvelles littéraires, 5 avril 1924.


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