Noël approche. Plutôt que d'acheter des chocolats, des trucs électroniques inutiles et un sapin, procurez du bonheur autour de vous en offrant Mendiants et orgueilleux d'Albert Cossery, un grand roman francophone.
L'oeuvre de Cossery, sublime cossard originaire d'Egypte installé en France - et installé est un grand mot pour cet homme qui voyageait léger dans la vie - est toute rassemblée chez Joëlle Losfeld qui la fait vivre avec dignité.
Outre deux volumes d'Oeuvres complètes, voici les version poche des chefs-d'oeuvre du fainéant magnifique, et cette édition du centenaire de sa naissance, avec préface de Roger Grenier, huit pages d'inédit, des notes de l'auteur, un portrait rédigé en 2008 par Christophe Ayad, un cahier photo et des témoignages de Patti Smith, Georges Henein, Henry Miller, etc.
En insistant encore un peu (vous connaissez la subtilité du Préfet !), voici quelques extraits goûteux. Et nous ne dirons rien des premières pages du roman, délicieusement étranges et belles.
Il faut dire à son avantage - caractéristique assez rare chez les poètes - que Yéghen ne se prenait pas pour un génie. Il trouvait que le génie manquait de gaieté ! L'immense entreprise de démoralisation que certains esprits dits supérieures exerçaient sur l'humanité lui paraissait relever de la plus malfaisante criminalité.
(On dirait que Cossery avait prescience des propos de ce d'Onfray à la télé hier au soir...)
Il trouvait exagérée et morbide l'attitude de cette foule dont rien ne venait rompre la navrante monotonie. Quelque chose manquait à cette cohue bruyante : le détail humoristique par quoi se reconnaît la nature de l'humain.
La réalité dont tu parles, dit Gohar, est une réalité faite de préjugés. C'est un cauchemar inventé par les hommes.
Malgré le bruit des tramways, les klaxons des automobiles, la voix stridente des marchands ambulants, Yéghen avait l'impression d'un monde où les gestes et les paroles étaient mesurés en fonction d'une vie éternelle. La fureur était bannie de cette foule qui se mouvait dans l'éternité; elle semblait animée d'une joie savante, qu'aucune torture, aucune oppression ne parvenait à éteindre.
A vos paquets cadeaux !
Albert Cossery Mendiants et orgueilleux. — Paris, Joëlle Losfeld, 248 pages, 15,90 €
1 De B. MERINO -
Merci Eric de tes belles lignes sur Albert Cossery. Je suis ému de les lire. J'avais rencontré Albert Cossery, dans un de ses bistrots favori du quartier latin, près des Beaux Arts, c'était dans les années 1979/80. Ce fut pour moi une très belle rencontre. Nous nous retrouvions de temps en temps, au hasard de nos promenades dans le quartier. Lors de notre première rencontre je ne savais pas alors qui il était. Et lui, ne connaissait que mon prénom, dont après son 'étonnement' il commenta judicieusement la signification du prénom dans sa région natale, puis commença alors à me parler de "son"Alexandrie, de Lawrence Durrell, Henri Miller, de sa rue ..etc; j'aimais l'écouter et par la suite nous nous sommes beaucoup amusé à discuter, de nos "régions" respectives. Le Liban, l'Egypte, l'Andalousie, le sud de la France, l'Amérique sans oublier le Mexique et le Nicaragua, etc. et les femmes, les femmes . ( C'était juteux de l'écouter) Il disait, je le cite:" Je ne peux écrire une phrase qui ne contienne pas une dose de rebellion, sinon elle ne m'intéresse pas." Un jour il m'offrit en cadeau son livre: " la violence et la dérision". J'avais appris son décès par la Presse et bonjour l'émotion. Merci encore!