Une geste pour les fêtes

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Début novembre, Antoine Audouard publiait un livre qui, contre toute attente, dévore petit à petit l'attention que l'on consacre habituellement aux gros produits papetiers et aux lauréats des prix de l'automne. Il faut dire qu'il est délicieux, emballant, surprenant, épatant, jovial, triste, hilarant, humain et même tendre et qu'on voudrait ici en citer des pages entières.

Il faut dire aussi qu'il est d'une autre trempe que les lauréats passés de tout poil (on n'a pas lu le goncourt de cette année, mais il ne semble pas émouvoir les lettrés plus que ça), d'une audace autrement plus remarquable, formellement notamment, et, en même temps, d'une simplicité et d'une sensibilité que l'on peine à trouver chez nos jeunes auteurs pleins de morgue ou de froideur branchitudinesque.

La Geste des Jartés, puisque tel est son titre, narre à la mode médiévale, c'est à dire en vers (variés) dans un patchwork de langues colorées (Rabelais for ever), la déconfiture d'une maison d'édition parisienne, avec ses auteurs (vieilles stars boursouflées, ratés piteux, allumés merveilleux), ses salariés (toute la gamme depuis la mal-comprenante jusqu'au vieux correcteur alcoolique en passant par les éditeurs péteux et vains) et les "nettoyeurs" chargés par le "groupe" de mettre en place un plan social. Reste qu'un stagiaire... A toute geste son chevalier, ses morts. Évidemment, le hamster ne survit pas.

(...) Voici les descendants des grands fauves,
des bâtards magnifiques et sanglants,
de ceux qui passent à la broche les enfants
et violent dans l'alcôve -
voici les restes de la race des violents,
les fils des capitaines, des guerriers
nés de père inconnu qui traversaient les étendues glacées
et les déserts pour découvrir des paradis
où ils déchaînaient des feux d'enfer
sans humanitaire souci.
Voici les enfants des meurtriers,
fines lames, qui tuaient sous eux les destriers
à la poursuite de chimères,
ou bien mouraient, le ventre déchiré,
l'épée pour oreiller,
vers la terre de France les yeux tournés...
En Négroni, en Randal, en Zek
leur millénaire épopée s'achève. Le cœur sec,
ils n'ont plus ni rêves ni cauchemars,
mais des assurances-vie au fond des placards,
des thérapeutes, des coaches et un bavard.
Dans le hall de la Maison la toux rauque
d'Olivier Randal a caverné dans la lumière glauque.
(...)

Entre deux régals, la Bastard Battle de Céline Minard et L'Affreux Pastis de la rue des Merles de Carlo Emilio Gadda, Antoine Audouard force le français à lui obéir et attaque sur cinq jours, avec chœur antique s'il vous plaît, cette relation de la vie en entreprise aujourd'hui, comme il avait entrepris de remuer la langue et la xénophobie avec L'Arabe (L'Olivier, 2009 ; Folio, 2011).

En attendant de boucler l'entretien avec l'auteur qu'il a prévu de donner au Matricule des Anges, et en espérant une prochaine lecture de cette formidable et jouissive Geste par Denis Lavant, le Préfet maritime est affirmatif : La Geste des Jartés, c'est le cadeau valable pour toute la famille que vous cherchiez. Grouillez-vous tant qu'il en reste.



Antoine Audouard La Geste des Jartés. - Paris, Gallimard-Versilio, 2013, 22,50 €

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