L'inventaire à la... Callé

Oeilweb.jpg



Sur les conseils d'un alamblonaute averti cet inventaire à la Callé qui anticipe de quelque temps l'inventaire... à la Prévert.
Sous réserve d'inventaire, justement, il lui apparaît bien antérieur mais rien n'indique qu'il n'était pas lui-même précédé par quelque joyeux lurons des Quat'z'arts, ou bien, et surtout, de Gaston de Pawlowski, Gabriel de Lautrec, et, naturlich, Alphonse Allais.
A suivre.



Le 28 de juin 1905, à la nuitée, un homme d'environ 1 mètre 75, en tout cas de moins de 2 mètres, d'âge indéfinissable, tant à cause du feutre rabattu sur son visage jusqu'au ras du menton que de l'obscurité qui "ciragisait" tout, suivait, plus droit qu'un i non grec, la route vicinale d'Asnières à Chicago.
Il ne pleuvait pas. Seule, une légère brise défrisait doucement la cime des pommiers et des peupliers repeints au bichlorure de chaux par le Service des Voies.
Rien ne troublait la paix de la campagne assoupie dans ses blés comme dans une fourrure, et, n'eût été le bruit des lourdes semelles ferrées martelant la chaussée, n'importe qui à des lieues à la ronde eût ouï voler un papillon au-dessus de la plaine plate ou trotter un faucheux dans l'épaisseur des herbes.
Comme si le silence et l'ombre lui greffaient aux chausses un double feu cuisant, l'inconnu de plus en plus accélérait 'allure. Outre un bouquet de persil au revers de sa blouse, il portait en sautoir un parapluie sans bout et, juchée sur la tête, à la mode hottentote, une valise en cochon remplie jusqu'à la garde.
Si la nuit tous les chats sont gris, la nuit également les plus doux refrains d'oiseaux résonnent lugubrement, qu'ils soient de pélicans, d'autruches ou de gobe-mouches.
Celui, sans rien de plaisant, d'un grand-duc en amour fit tomber du front sur les bottines de l'homme, l'une jaune à lacets, l'autre noire à boutons, une sueur si glaciale qu'elle s'y figea tout de suite pis que de la chandelle.
Encore que la peur lui plaquât l'épiderme contre les pois de la chemise et lui sortit les yeux du cadre orbiculaire prescrit par les convenances, force lui fut de s'arrêter pour refaire du gaz.
Un cylindre de granit sur un pan de talus remémorait aux passant que là reposaient les dépouilles du méridien de Greenwich, le plus ancien peut-être des méridiens illustres.
Il s'assit à la base, se brisa contre l'occiput trois oeufs rougis à bloc, vida sans effort le contenu d'une peau de bouc, puis refonça tête en pointe dans le ruban de la route.
Où allait-il ? Personne n'eût sur le dire. Il allait. Voilà tout. La chose n'est pas douteuse. Du pas d'un bolides sur un ciel en pente ou d'une bille d'ivoire sur une piste en zinc.
Il allait tellement... qu'il eût bien fini par arriver, si le malheur... Mais motus sur le malheur. En parler le provoque.

Chacun sait que Le Mans est la capitale officielle de la Sarthe, et la Sarthe elle-même un département. Toutefois, ce que l'on ignore un peu partout, c'est qu'à l'octroi du Mans, la route d'Amérique, promue nationale, forme des coudes si brusques qu'ils vous cassent la vue rien qu'à les regarder.
Or, notre individu les semait, ces coudes, avec tant d'ardeur qu'au détour de l'un d'eux il n'entendit pas un second individu venir en sens inverse aussi vite que lui.
Le choc fut un désastre. Deux machines qui s'accrochent dans de pareilles ténèbres à près de six à l'heure ne font sur le ballast qu'un tout fracassé non identifiable. A plus juste raison, deux hommes en pleine force, en pleine possession de leurs moyens physiques.
Quand la maréchaussée, prévenue par le maire avec ménagement, débarqua sur le lieu de l'accident, elle ne repéra plus que deux être évanouis en train de faire la planche sur un tas de cailloux.
Un marchef de "cognes" connaît le règlement et vous fouille les poches, quand la loi l'exige, avec autant d'art qu'un maître pickpocket. Celui qui, par intérim, commandait la brigade n'y mit pas de manières.
Il appert notamment de son procès-verbal qu'il ne fut relevé dans la musette du quidam de la direction de Brest qu'une carte d'électrice au nom d'une dame vierge, quelques poils bouclés liés par une gaveur, et divers produits à combattre la gale.
Par contre, la valise de l'homme tamponneur renfermait tant d'objets que l'inventaire légal n'en put mentionner qu'une partie. Entre autres les suivants :
Sept chaussettes à trous en tissu spongieux.
Un nombril en verre.
Un exemplaire sur bristol-japon de l'Horaire des Tramways de Nantes à Carcassone.
Une aiguille à poulets.
Des culots de cigares.
Trois ceintures. L'une de chasteté. La seconde de spahi. La troisième en cuir.
La photo retouchée d'une rentière en morceaux sur le pas de son immeuble.
Trente-cinq allumettes, dont une hors d'usage.
La série complète, en argot de barrière, de A. jusqu'à Z. des oeuvres de Piron.
Un squelette de White Bombyx Pataccoccifirme Géant des forêts polaires. En tel état de conservation qu'on l'eût cru vivant.
L'armature d'une pipe multitubulaire.
Le catalogue d'une fabrique anglaise de gomme à claquer.
Divers spécimens, tous oblitérés, de timbres sans valeur.
Un tableau des Champignoni Combustibles d'après Pline le Veuf (Collection Rotchschild).
Une collection de mites, pas Rotchschild celle-là.
Une bille.
Un plan au 80.000/me du quare Popincourt à Paris.
Une boîte de couleurs à peindre le bouillon.
L'échelle statistique et comparative du prix de la tonte des cheveux dans toutes les nations d'origine latine.
Une douzaine d'épingles à décoquiller les escargots de luxe.
Un peigne à bascule, en caoutchouc mou.
Une savonnette rose, modèle de cuisine.
Une autre savonnette, mais noire, pour toilette funèbre.
Le patron d'une camisole de force offerte à ses lecteurs par la "Mode en Prison".
Un pantalon de zouave à raies bicolores, rehaussé de paillettes.
Un flacon de cinq litres de coricide russe.
Deux cottes de travail, en Lafuma pur fil. Neuves.
Six cents onces d'alevins de mouches à urinoirs.
Un couple de pistolets bouchonnés pour affaires d'honneur, avec fein Bowden sur le bouton de culasse.
Un fac-similé à l'encre sympathique de la signature du Roi Samory.
Du laiton à piper les tigres dans la jungle.
Mille plombs de chasse nickelés, numérotés de 1 à 1.000.
Une règle à toiser les berlingots de foire.
Une trousse à renifler les odeurs grisantes.
Ce qu'il faut pour faire fondre le sucre dans les bistouilles.
Une patte d'éléphant stérilisé.
Une mappemonde de voyage, époque Directoire.
Un coffre-fort ciselé "Maximimimus", rempli de ronds de chapeaux provenant de La Havane.
Des lardoires à moules.
Plusieurs bidons de "Miror" à polir les crânes.
Un bouchon de radiateur représentant Phryné devant le conseil de guerre, en tenue d'inspection, seins matriculés.
Six étoiles de mer capturées au lasso.

En enfin... Enfin et surtout, tapi douillettement entre des feuilles de vigne, un carnet... (...).




Nous n'ajouterons rien d'autre que le nom de son propriétaire, Cadouille Pamphile, qui paraît être le fils naturel d'Onésime Boquillon.


Julien Callé Sainte-Guillotine. Préface de Pierre Mac Orlan. – Paris, Éditions du Tambourin, 1930, 331 p.





Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Haut de page