La Tour des supplices de Nuremberg

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La Tour des Supplices de Nurenberg

La visite que j'ai faite, minutieuse et contrôlée, de la tour célèbre où sont réunis les instruments de torture et un petit musée historique, m'a écœuré. Ensuite, j'ai essayé de m'expliquer tous les raffinements de cruauté d'une époque abolie.
Il faut donc, avant tout commentaire, que je note ce que j'ai vu et tous les instruments terribles employés au châtiment des coupables. Je ne puis éviter l'énumération cataloguée. Peu importe si je retrouve ainsi la précision du souvenir.
Au rez-de-chaussée, une salle d'exposition des appareils familiers à la torture et à la question ordinaire et extraordinaire ; le poteau carcan ou pilori, la flûte de fer qui broyait les doigts des mauvais musiciens et des médisants ; les bretelles à cornes pour les femmes infidèles ; les groins et les masques pour les indécents et les blasphémateurs ; les violons de honte qui enserraient le cou de l'homme et de la femme en désaccord ; le manteau espagnol en bois clouté, destiné aux ivrognes et aux vicieux qui faisaient, ainsi vêtus, le tour de ville; la maison à claires-voies où l'on enfermait les boulangers tricheurs sur le poids du pain (ainsi garrottés, le bourreau les traînait à la Peignitz et les plongeait dans l'eau du fleuve autant de fois qu'il manquait d'onces au pain bourgeois) ; la chaise de torture dont le patient éprouvait, nu, la rigueur des 2.000 pointes; le lièvre lardé, rouleau hérissé de lames que l'on promenait sur le dos et la poitrine du délinquant; l'étrier briseur de pieds et les menottes et poussettes comparables aux fers qui étaient en honneur dans les régiments disciplinaires ; les bretelles de 70 livres à collier de fer, maintenant le prisonnier rivé au mur ; le banc de douleur, formé de barres de bois ornées de pointes mues par des poulies et qui brisaient l'épine dorsale des meurtriers et des voleurs à main armée, auxquels ce supplice était destiné ; le berceau, auge massive capitonnée. de clous aigus dans laquelle on remuait les condamnés jusqu'à ce que mort s'ensuive (en 1807, on en usait encore) ; les cols espagnols, bons étrangleurs ; les tenailles arracheuses de langues ; les poires d'angoisse; les couteaux creveurs d'yeux et coupeurs de langues ; les serre mollets ; les fouets noués ; le tréteau ; la roue tranchante, qui passait sur ces corps à intervalles réguliers ; l'âne espagnol, écarteleur ; les potences à poids, qui garantissaient la croissance des corps ; les fers chauds, marques d'infamie, apposés à l'épaule en forme de potences, de roues, ou portant la lettre initiale de la ville où le prisonnier avait subi sa peine ; la hache d'exécution, élégante francisque à long manche; les glaives de bourreau, hautes épées à croix, lames très larges avec cette mention sur la garde : « Justitia ».
Dans une vitrine, posé douillettement comme un joyau, le glaive fourbi, flambant neuf qui trancha au XVIIe sjècle plus de dix-huit cents têtes — un rien — et provenant du musée royal d'armes de Stuttgard. Plus loin, les masques diaboliques cloués à la maison des possédés du démon; les mains de fer ; les chars à torture, etc. Enfin, comme présidant cet étalage d'horreurs, un costume funèbre de maire juge de Nurenberg, de velours sombre et sans ornements. Et, calme et sereine sous la coiffe noire et la cape à grand col, la tête violemment portraicturée d'une sorcière, la religieuse Renatu, brûlée à Wurtsbangen en 1749. Le peintre s'est attaché à rendre la finesse des traits que l'âge n'avait pas alourdis, la bouche mince et dédaigneuse, les yeux vastes, profonds, fixes, suivant un rêve, au-delà du mystère, de la résignation et du crime, indifférents.
Au premier étage, car ce musée maudit n'est pas minuscule, trône, horrible et lourde, l'Eisene Jungfrau, la vierge de fer. C'est une masse de deux mètres de hauteur, reproduisant les traits d'une bourgeoise de Nurenberg vêtue de sa cape, tombant jusqu'aux pieds. La porte s'ouvre par devant en deux portails piqués de longues aiguilles. La tête divisée en deux parties comme une orange partagée, porte, à sa face interne, deux pointes acérées. On plaçait le condamné à ce supplice de première classe, à l'intérieur de la vierge affreuse. On fermait les portes et les pointes broyaient la poitrine, la tête et les flancs. Quand le bourreau n'entendait plus crier le patient, il jugeait que la mort avait fait son œuvre et il ouvrait prudemment la cape de la Jungfrau. Une trappe glissait sous les pieds de la statue, et le corps déchiré tombait sur une machine assez comparable aux broyeurs des bouchers. Là, réduit en morceaux innommables, il allait se perdre dans les eaux de la Peignitz qui dispersait ainsi les traces du supplice et évitait toutes recherches. Ceux qui usaient de cette épouvantable torture étaient appelés membres au Tribunal des francs- juges. Le titre est assez insultant d'ironie.
Digne compagnie d'un tel appareil de martyre, des défroques rouges de bourreau, la clochie qui sonnait pendant l'exécution de la sentence rendue, le banc du condamné que l'on plaçait entre lie médecin à gauche et le bourreau à droite, des portraits d'hommes rouges, les chapeaux flanqués des 'armes de la ville dont ils se couvraient pour les cérémonies « sai- gneuses ».
J'ai déjà indiqué la cellule du chevalier Eppelin de Gailingen: les murs alourdis de chaînes, de colliers, de menottes et d'entraves en sont comme rouillés. Au-dessus (troisième palier) des portraits de princes prisonniers destinés à la vierge en fer occupent le deuxième étage. La chronique rapporte que les détenus y restèrent quelquefois plusieurs mois et, cependant, les malheureux n'avaient qu'un escabeau de fer et une cruche pour tous objets utiles, pas même une couchette de bois.
Je respire un peu !!
C'est le dernier étage dont les baies s'ouvrent au loin sur la campagne.
On a installé dans cette pièce supérieure de la cour, une sorte de musée historique mal entretenu, en mauvais état, bric-à-brac de pièces authentiques, mais disparates, posées sans ordre et dans une atmosphère de délabrement qui étonne. Je note, en suivant le porte-clefs, des armiures du xvi" siècle, du temps de Maximilien Ier, armures de guerres civiles appelées Morgensterm ; une vieille voiture diligence pour les approvisionnements, un carrosse de luxe (un modèle à mécanique XVIe), que le cicerone indique comme « une audomopile du temps » ; des armures de chevaliers, épées, tromblons, canons de la guerre de Trente ans, piques, lances, épieux, entonnoirs, porte-voix, violon en fer du XVe siècle, cymbale hongroise du XVIIe, pipes fameuses, vrais bijoux du XVIIIe, reconstitution en poupées minuscules, d'une noce de patricienne du XVIIIe siècle avec la couleur et les costumes du temps, piano du XVIe, vermoulu et crevé, harpe de roi, petite harpe de Hans Sachs, et instruments de cuivre des maîtres chanteurs de Nurenberg, costume de fou de la cour en amadou (!!), montre en forme d'œuf de Herr Heulein, une des premières confectionnées, glaive d'empire, etc. Tout cela forme une salade hétéroclite, mêlant les objets de trois siècles, les armes, à côté des vieilles chopes de faïence, les armures et les violons.
Telle m'est révélée la Funfec Kiger Turm avec ses horreurs, ses guenilles et ses ferrailles.
Un sujet, une exhibition aussi horrifiante — je parle des instruments de torture — méritent quelques commentaires.
Il est incontestable que l'ingéniosité tortionnaire prit naissance dans l'Espagne au moyen-âge. Les chevaliers tudesques ont aimé les châtiments infligés aux malandrins et aux criminels. La torture était un luxe des grands, importé de la terre où sévirent et triom-phèrent longtemps les Maures. Je cherche à m'expliquer comment le XVe, le XVIe et le XVIIe siècles acceptèrent telles cruautés, pourquoi ils utilisèrent ces représailles avec l'apparat stupéfiant qui caractérisait de semblables atrocités, offertes comme réjouissance au peuple des badauds émoustillés à la vue du sang versé. De l'étreinte farouche de la vierge en fer à la « Veuve », il n'y a, j'imagine, qu'un pas franchi — au point de vue spectacle — et je laisse faire le choix à autrui.
Pour le condamné, la souffrance est plus courte. On en conviendra, quoique l'on ne doive reconnaître le droit de tuer à personne.
Nous sommes au siècle lointain où l'instruction réservée à certains, à quelques élus seulement, laissait dans une ombre de médiocrité lamentable, la majorité de la foule sensible aux grands gestes, aux parades, aux meurtres, aux passions violentes, exclusive dans ses plaisirs comme dans ses douleurs, âpre à défendre sa misérable condition, prompte à croire à toutes les légendes superstitieuses, résignée, esclave des traditions déjà fortes, courbée devant le seigneur et n'osant plus affronter son regard caché par le heaume de guerre. Or, un tel peuple, malgré des erreurs, avait créé une harmonie dans la cité. Le XVe siècle préparait après les schismes et des inquiétudes d'esprit, la floraison hardie de la Renaissance. La même foule faisait la fortune de la cité, en assurait la paix et cette paix ennoblie par le labeur des artisans de génie, offrait au monde étonné un magnifique enseignement. Malgré la main-mise sur les Eglises par les prêtres tout puissants, malgré la volonté suprême du prince ou du roi, ce peuple pouvait se croire maître et défenseur des beautés qui l'entouraient, — qu'il sentait plutôt qu'il ne s'en ex-pliquait la valeur — et il approuvait les sentences terribles contre quiconque tentait de perturber l'ambiance paisible, de troubler la douceur de vivre sainement, au grand jour, du labeur prospère, de l'industrie et des arts. Et les tribunaux étaient sacrés. La torture, les moyens cruels d'arracher la vérité aux accusés, les ruses épouvantables, les calvaires odieux infligés aux « méchants » pouvaient paraître normaux aux yeux de chacun.
Nurenberg la gothiquc, Nurenberg la douce, au vol de ses cloches, au chant de ses vieux maîtres, mêlait volontiers les râles et les appels des supplices.
L'enseignement était terrible qui tombait des murs du burg et il valait mieux rêver sous les arbres qui bordaient les remparts, que de franchir entre les hommes d'armes les portails ornés de blasons où veillaient les hallebardiers...
L'homme rouge dormait là-haut, ayant fourbi sa hache et aiguisé ses crochets. Malheur à qui violait le droit des gens. Et puisque la vie était resserrée, réduite à ses expressions coutumières, sans heurts, sans révoltes, il importait peu aux bourgeois et aux artisans, de philosopher sur le geste d'un voleur ou d'un criminel, à la condition que l'ordre régnât entre Saint-Sebald et le burg, Saint-Laurent et la grosse tour de ville.

J.-F, Louis Merlet



Floréal, 9 juillet 1921.

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