Réception de R.U.R. (1922)

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R.U.R. Ne cherchez pas longtemps, amis lecteurs, ces trois initiales ne contiennent lien de kabbalistique C'est là le titre d'une pièce de théâtre d'un jeune dramaturge tchéco-slovaque, Karel Capek (prononcez Tchapek).
Et disons que les trois initiales signifient : Rozum Universal Robots (Travailleurs Universels de Rozum).
Il faut vous dire que l'auteur a délibérément renoncé à tous les sujets rebattus dont ou nous gave dans toutes les capitales européennes. Ce jeune dramaturge se révéla un créateur original dès son premier coup d'essai, Les Brigands.
Le développement constant de la mécanique et l'évolution croissante du machinisme moderne ont permis à Karel Capek de prospecter l'avenir, de faire une incursion dans le monde de demain. Et c'est pourquoi il nous transporte dans la société future , — ou actuelle —, l'époque où les inventions mécaniques auront atteint le suprême degré de perfection.
En ce temps bienheureux il sera possible de produire des hommes-machines, ou, selon l'expression de l'auteur, des Robots (terme qui signifie en tchèque : ouvriers). Ce seront des êtres dépourvus de toutes sensations humaines, sans la moindre notion du bien et du mal, puisque privés d'une àme. On songe à la légende juive de ce saint praguais qui, afin de combattre le terrible ennemi d'Israël, créa d'argile un homme également inconscient et dépourvu d'âme, mais capable d'abattre de la besogne. M. Karel Capek. Praguais lui-même, aurait-il eu connaissance de la belle histoire du folklore juif de son pays ? Ne devrions-nous dire avec Salomon : Rien de nouveau sous le soleil ?
L'action se passe quelque part, sur une île lointaine, et nous sommes dans les bureaux de l'usine Rozum, où l'on fabrique en série des Robots avec des produits chimiques et que l'on vend 150 dollars l'unité.
Donc, les prolétaires fabriqués a l'usine Rozum sont, à proprement parler, des mannequins, des automates. Ces machines, qui produisent au gré de leur maître et qui rendent 2 fois 1/2 la production d'un humain, ces machines, disions-nous, ignorent l'amour et la haine, ne savent rire ni pleurer. Mais travaillant comme une machine, ils sont comme elle, usable, de durée limitée. En effet, chaque Robot produit pendant 20 ans, puis, usé, il est renvoyé à l'usine pour être refondu en un Robot tout neuf.
Or nous sommes dans les bureaux du directeur qui dicte à sa dactylo, Sylla, un volumineux courrier.
Ce Robot fabriqué chimiquement est chargé de répondre aux nombreuses commandes de Robots venues de tous les points du globe.
Mais l'on voit aussi des spécimens du genre humain, ceux-ci sont au nombre d'une demi-douzaine dans cette vaste usine : le directeur, le chimiste, le médecin, l'ingénieur et deux contremaîtres. Toute la fabrication est besogne d'authentiques Robots, Mais voilà où l'affaire se corse, le drame se complique et gagne en péripéties et intrigues idoines à éveiller la vigilance du spectateur. Mlle Hélène Glory fait son apparition inopinée dans ces étranges milieux. Grand émoi, pour deux raisons aussi plausibles l'une que l'autre. Le système de fabrication de Robots est tenu secret, et l'on craint que cette intruse ne soit venue que pour surprendre l'invention du vieux Rozum. La seconde raison de cette émotion générale, c'est que tous les six hommes en chair et en os reçoivent le coup de foudre à la vue de cette jeune femme, espèce unique parmi eux.
On apprend toutefois que Glory est déléguée par un vaste organisme féministe qui veille à l'amélioration des conditions de travail du prolétariat.
Elle veut donc surveiller le traitement des Robots en missionnaire consciencieux. Mais l'administration triomphe facilement en lui démontrant l'inanité d'une telle intervention en faveur des Robots, puisque ceux-ci ne conçoivent point les sentiments généralement admis. De sorte que toute amélioration leur semble superflue, étant donné qu'ils ne rêvent d'aucune revendication. « Il leur manque le sens humain, c'est pourquoi ils ne souffrent pas de la douleur impartie à l'humanité. »
C'est alors que Glory exprime le désir que les Robots, en plus de leur capacité de rendement, aient aussi des sensations.
Le directeur s'éprend d'Hélène Glory, mais tous les autres humains ne l'aiment pas moins. Elle profite de ces prérogatives pour obtenir du médecin-psychologue qu'il dose ses produits chimiques d'un peu d'intelligence humaine. Bientôt, nous voyons le Robot Radiès, être affiné, préposé à la garde de la bibliothèque. Hélas ! Il n'exerce pas longtemps les fonctions de bibliothécaire. Après quelque temps il fonce avec rage, saccageant mobilier et bouquins, devenu subitement furieux.
On est obligé de l'enchaîner pour apaiser son désir de destruction.
Dans le second acte nous apprenons que de nombreux gouvernements ont acquis des Robots pour faire la guerre. La maison Rozum a fourni au monde entier ce matériel « humain ». Le carnage systématique achevé, les Robots se livrent à un massacre épouvantable sur tous les êtres humains ayant survécu à la guerre. Seul l'architecte Alkviste échappe au meurtre général. C'est que les Robots, voyant le déclin des races, veulent que cet homme unique continue de fabriquer des Robots. Seulement, en dépit do sa meilleure volonté, l'architecte est incapable de fabriquer de ces êtres chimiques, la formule Rozum étant à jamais anéantie.
Les Robots le menacent de mort, chose qui n'effraie pas l'homme désolé de vivre seul dans le vaste monde. La mort lui sourit, au contraire.
Lorsque l'on envoie Primus à l'usine pour se faire refondre, Hélène pleure ; c'est donc que lentement la. conscience surgit chez ces êtres longtemps tenus en esclavage.
L'idée est jolie, et elle marque une réelle évolution dans la production dramatique prolétarienne. Dans ses Tisserands, Hauptmann nous a montré le prolétariat du dix-neuvième siècle, Karel Capek avec son R.U.R. nous trace un tableau de l'ouvrier au vingtième siècle.
M. H. Jelinek, le traducteur autorisé de Capek, a fait accepter cette curieuse pièce par M. Jacques Copeau, qui la montera prochainement au Vieux Colombier.

L. Blumenfeld.



Floréal, 9 décembre 1922

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