Félicien Champsaur et son bain de boue

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Bien connu des services de la Publicité littéraire, Félicien Champsaur, le très actif journaliste et homme de livres, ne cessa naturellement jamais de produire, quand bien même l'acier pleuvait sur les champs de bataille de la Première Guerre mondiale.
Rôdé aux usages et tempo de la presse, ce roué personnage savait soigner ses écrits et le faisait avec talent (nous en reparlerons à propos de l'essai récemment paru chez Plein Chant). Invité à visiter le front en novembre 1916 avec quelques confrères, il laissa un curieux document en préface de L'Assassin innombrable (1) - assassin dont on devine assez vite l'identité - une "symphonie dramatique de haine" richement éditée. Mais le suspens n'en était pas la caractéristique majeure.
Réédité judicieusement par Le Vampire actif, la préface devenue L'Enfer de Verdun autonome, n'est pas, contrairement à ce qu'en pense Alexis Jenni, un texte "littérairement splendide". C'est un bon écrit de vieux maître, journalistique certes, une pièce de prose fort bien troussée, et parfois même émue, sous la plume d'un journaliste éprouvé qui mène à bien sa mission et sait satisfaire son commanditaire. A cinquante-huit ans, il a de plus une idée derrière la tête : faire un succès de théâtre, et un succès pa-trio-ti-que. Et sur ce programme prend de l'avance en dégommant dès son préambule la concurrence de vieux comédiens et de premières blettes qui effectuent eux aussi la visite chez les Poilus pour y dramer classique à l'aise. Quant à la splendeur littéraire, on en est déjà très loin.
La singularité de l'écrit de Félicien Champsaur tient à ce qu'il est bigrement schizophrène, et en cela constitue un beau morceau de l'art officiel d'époque. C'est là que l'on voit son talent en réalité : mi-rodomont mi-frère des héros, styliste impeccable - un peu trop d'emphase au final -, le patriotard craignant essentiellement la censure parvient à placer ses billes en se positionnant outrancièrement contre l'Alboche, après avoir épaulé pieusement les soldats, victimes du Kaiser, dans la boue.
Ah, cette boue qui le dégoute...

- c'est la boue qui nous attaque, nous empoigne aux chevilles, aux mollets, la boue effrayante.

De belles pages guerrières pleines de boue et de cadavre et de morceaux de métal, avec des rognons d'arbres, beaucoup de rognons d'arbres, par un de l'arrière, des pages guerrières assaisonnées d'une étonnante et détestable mystique de la guerre (pages 61-62) qui n'aide décidément pas à apprécier ce Champsaur-là. Et lui qui redouble d'efforts en dressant la statue du héros, le général Nivelle...
Bref, en fieffé reporter, il observe, note et rapporte mêmes les propos de son ami Nicolas Beauduin, le gendre de Gaumont, croisé par hasard (?), chargé d'un service cinématographique tout neuf, puis va suivre — après avoir béni Vauban — ! — jusqu'au fort de Douaumont, à travers le dédale, le brouillard et... la boue.

Ayant tout juste le temps de nous laver les mains, tous crottés comme d'abominables barbets, n'ayant aucun moyen de changer de toilette, je montre, confus, une plaque de boues sur mon épaule au général Nivelle. Il me répond, en souriant :
- Mais c'est très chic. Tâchez de la garder jusqu'à Paris.

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On peine à croire que Champsaur n'aie pas compris la plaisanterie du militaire, comme l'on peine à croire que le récit de sa prise de trophée (une lampe électrique) et le ton général de son propos n'aient alerté sur le décalé désormais inélégant — pour ne pas dire autre chose — de certains de ses commentaires. Drôle d'homme que ce Champsaur qui, par moments, ressemble aux personnages mis en scène dans le Nécropolis d'Henry Champly (La Sirène, 1922) et n'atteint jamais, quoi qu'il en soit, l'intensité des témoignages d'un Gabriel Chevallier (La Peur) ou des notes de Louis Pergaud, pourtant beaucoup moins lyriques ceux-ci, dans leur panade. Car c'est au chaud, bien au chaud, que l'on peut faire des phrases.
L'Enfer de Verdun est donc un document des plus précieux parce qu'il met en lumière la pensée de l'arrière. Apparemment bienveillante, va-t-en-guerre néanmoins, cette pensée dont les ingrats Poilus bientôt ne voudront plus.



Félicien Champsaur L'Enfer de Verdun. Édition établie et présentée par Hugues Béesau et Karine Cnudde. - Lyon, Le Vampire actif, 100 pages, 10 €

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(1) L'Assassin innombrable, sous-titré "Symphonie dramatique de haine contre Guillaume II...et chant d'amour pour nos morts". - Paris, La Renaissance du livre, 1917, 100 pages. Impression bicolore, illustrations de Ibels, Charles Léandre, Bretel, Fabius Lorenzi, Raphael Kirchner, Whidoff
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