La Faune de Paris

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La Faune de Paris
Nos voisins avaient coutume de dire, avant la guerre, que Paris était la Babylone moderne. Ce qu'ils disaient moins, c'est que leurs plaisirs tarifés, leurs escapades, les petites, fêtes avaient pour décors des lieux que le plus grand nombre de Français et de Parisiens de Paris ignorent.
La curiosité des touristes est quelquefois spéciale. Et pour la satisfaire il y a des mentors qui ne rechignent pas à la besogne. Londres a White chapel, Madrid les Americas, Amsterdam les quais marchands, Marseille son vieux, port, Paris a ses quartiers excentriques et ses bouges...
C'est la lèpre des grandes cités. Elle n'est point particulière à la France. Et ce qu'il est permis de constater c'est que l'étranger quel qu'il soit, d'où qu'il vienne, se trouve bien à Paris, aime l'atmosphère de liberté qu'on respire chez nous, le sans-gêne et la courtoisie mêlés du peuple le plus indulgent, et qu'il prolonge volontiers ses séjours sous le doux ciel de France.
Cette population flottante qui fait de Paris une ville aussi cosmopolite que Rome, New-York ou Monte-Carlo, tend à se fixer, à prendre ses quartiers d'hiver ou d'été, et jamais le nombre des métèques n'a été plus grand qu'à présent. La guerre qui transforma Paris en une vaste gare d'attente où les soldats de tous les pays se croisaient, permissionnaires ou combattants revenant au front, a renforcé le goût de Paris chez ceux qui avaient appris à l'aimer en passant. Polonais, aimables et roublards, Russes, fatalistes, désenchantés et ardents, Américains cyniques à force d'argent, Anglais placides et froids calculateurs, Sud-Américains au teint de réglisse, Allemands langoureux et penauds, Suisses graves et ponctuels, Vikings blonds de Suède et de Norvège gardant en leurs yeux pâles la. nostalgie glacée des fjords, Espagnols loquaces et ténébreux, Italiens romanesques et pommadés, ils sont tous là, maîtres du pavé, ayant jeté leur dévolu sur telle ou telle branche de l'activité intellectuelle, et demain, ils ne retourneront pas tous au pays natal. Ils se fixeront ici, feront souche, et de ce mélange de races au moins surprenant, naîtra une population bizarre, véritable Etat dans l'Etat, contre laquelle lutteront, il faut le souhaiter, les cohortes de Provençaux, d'Auvergnats et de Normands qui, eux aussi, viennent à la conquête de Paris et s'en retournent ensuite au mas d'Avignon ou d'Arles, à la maison du Cantal ou du Puy-de-Dôme, à la ferme des bords de la Seine, vers Rouen et le gras littoral, après fortune faite, quelquefois, après un rude labeur, toujours !
Çette faune de Paris. vous la rencontrerez à Montmartre, sur les grands boulevards, a la Bourse, dans le quartier des Ecoles et à Montparnasse.
GenFauneParisIII.jpg A Montmartre, c'est la fête, les boîtes à chansons, et à musique, la brasserie et le cabaret où des Madeleines sans repentir répandent des parfums aux pieds des seigneurs britanniques ou moldovalaques.
Sur les grands boulevards., les terribles fauves, les propriétaires de grandes firmes étrangères, les brasseurs d'affaires, les gros financiers, les traitants équivoques, ceux qui trafiquent d'une forêt au Congo, d'un hôtel à Singapoor, d'une fourniture aux armées ou de laines d'Australie. Et dans un sabir à peine corrigé, devant des liqueurs rares ou une table bien servie — honneur à la cuisine française — les propos sérieux se mêlent aux farces un peu lourdes.
A la Bourse, c'est l'assaut des financiers de tous poils... et c'est Babel ! ! Tous les idiomes, toutes les langues, une confusion étrange, avec des appels, des cris rauques, des râles désespérés, l'invocation à tous les Dieux devant la hausse de la livre sterling, l'effondrement de la couronne ou la reprise du franc. La faune, ici devient menaçante, plus ramassée, crocs en avant pour la lutte impitoyable de l'argent.
Le quartier des Ecoles est très sage. Des jeunes hommes graves, se forment à la culture française, des Nippons, petits, soignés et secs, aux Flamands, gras et roses, pour lesquels le pays de Rabelais sera toujours une terre d'élection.
A Montparnasse, les artistes difficiles, les cubistes néochaldéens et les orphistes austro-hongrois. les poètes sans éditeur, et les hommes de lettres en disponibilité qui ne savent où caser leur copie, font de l'encensement mutuel, devant les consommations frelatées. Et là, c'est encore un campement bizarre, avec des êtres aux accoutrements variés et curieux, d'une fantaisie extravagante. Nous rencontrerons dans la même salle les fidèles des académies de peinture, où l'on a du modèle et du beau, pour des prix abordables, les marchands de tableaux venus de Londres ou de Hambourg, des actrices, des chanteuses et des danseurs russes, la cigarette d'Orient aux lèvres.
Je ne parle pas des Noirs qui sont de toutes les fêtes.
Et parmi les fauves, nous verrons, familiers ébahis et contents, quelques couples de Français, qui viennent se former aux choses de l'art et retourneront à leur province où ils « épateront » le notaire, etc.
Faune de Paris ! Que ta cage est belle ! !


J.F.-Louis Merlet.
Dessins de Gen.

Floréal, 27 janvier 1923.

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