Emile Zavie à Bagdad

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Si l'on peut moquer la myopie de Zavie lorsqu'il visite la Russie en plein bouleversement bolchevique (il n'en voit que le corsage des jolies filles, et pourquoi pas...), Émile Zavie (1884-1943) a aussi su plaire en son temps. C'est le destin de tout créateur d'avoir, à l'occasion des hauteurs successives... Ne faisons pas les mariolles et posons-nous cette simple question : nous souviendrons-nous dans dix ans des écrivains d'aujourd'hui ?
QUant à Zavie, il était d'avis - désolé - que son roman Sousl esmurs de Bagdad était bien meilleur que le reste de sa production. D'ailleurs Gallimard s'en empara dès qu'il le put, c'est un signe. En plein règne d'Agatha C., Zavie tentait le mystère.
Voici ce qu'en disait l'hebdomadaire Floréal :

Sous les murs de Bagdad
Dans Les Beaux Soirs de l'Iran, que nous ne sommes pas seuls à considérer comme un des plus beaux romans français, M. Emile Zavie nous a entraînés en Perse, en retraitant de Russie à travers ces défilés du Caucase où mourut, si rapidement exécute, Poutnick le Proscrit. Aujourd'hui, c'est à revers qu'il prend l'Empire Immobile des Chahs, à la faveur d'une étrange et bien troublante intrigue qui nous conduit jusque sous les murs de Bagdad.
Blaze Romerdy, son héros central, est un de ces garçons dont l'insécurité psychologique intéresse fort Emile Zavie, et dont nous avons déjà rencontré des types carectéristiques dans Les Beaux Soirs de l'Iran, dans Paris-Marseille et dans Poutnick le Proscrit. Ce ne sont pas des volontaires qui préparent leur aventure. Etres d'une plasticité singulière, prompts à subir l'ascendant de quelque volonté positive, ils sont assez représentatifs d'une génération contemporaine peuplée d'ambitions imprécises, hantée de rêves, mais à peu près incapables de réaliser dans la sens anglo-saxon du. mot. Emportés dans l'aventure, s'ils cultivent en secret la petite peur voluptueuse de l'inconnu, c'est surtout au charme des incidents qu'ils s'attachent avec un rare et dangereux dilettantisme. Ils sont essentiellement romanesques, lors même qu'ils ironisent. C'est pourquoi nous apprécions en eux d' incomparables héros de roman, propres à introduire dans l'action logique toute la grâce mouvante de la sensibilité qu'un rien influence, et dociles à dénouer le drame d'une façon imprévue. Instruments d'une fatalité qu'ils croient extérieure à eux-mêmes et qui, de fait, est en eux, ils s'étonnent un jour d'avoir servi aveuglément et cruellement le mystère. Ces garçons, tour à tour hésitants et impulsifs sont des amants nés, mais condamnés à demeurer au bord do l'amour, balancés de joies fugitives à des souffrances sans issue que leur dilettantisme foncier, seul, empêche de verser dans un pathétique démodé.
Fais-je erreur ? C'est ainsi, du moins, que j'ai compris Blaze Romerdy. Et, ainsi compris, emmené, sans trop d'explications, de Paris à Marseille, de Marseille à Port-Saïd, et de Port-Saïd à Bagdad, par son ami le très volontaire Williams Lecharier, son caractère s'oppose curieusement à la lucidité de celui-ci, à la duplicité quasi-scientifique d'un Constantin de Henne. à la roublardise aiguë d'un Sartigues, à la médiocrité pleine de margotte d'un M. de Prénomme, chef d'expédition, et à la physionomie mobile de Christian ou. plutôt, de Christiane Dallène, cette énigmatique jeune femme qui eut fait les délices de Stendhal, tant elle se montre contradictoire dans ses façons de jouer avec l'amour et avec la mort. Attentif au seul drame de sa sensibilité. Blaze Romerdv semble ignorer jusqu'au bout qu'il est l'exécuteur prédestiné d'une mission politique dont les enjeux sont graves, puisque s'y affrontent deux nations qui se disputent sans pitié l'hégémonie en Perse. Et. j'ai beau chercher, je ne trouve pas. dans toute l'histoire du roman, de héros plus adorable do ferveur chimérique et de bravoure irresponsable. N'attendez pas que je dévoile à plaisir l'ingéniosité du récit. Los événements sont la lot du lecteur. A nous autres la tâche toujours émouvante de pénétrer les intentions de l'auteur. Peut-être les entrevoyez-vous, maintenant, et découvrez-vous toute l'admirable complexité du nouveau roman de M. Emile Zavie, qui échappe par bonheur aux classifications ou simplistes ou arbitraires. Roman d'aventures, sans doute, puisque l'action aux péripéties multiples nous tient en haleine, et ne livre son secret qu'aux toutes dernières pages. Mais, roman psychologique, surtout, car les personnages en scène ne sont pas des automates, mais bien des caractères qui s'expriment avec une subtilité sans égale, .les uns et les autres vrai, partagés entre les lucidités cérébrales et les obscures réactions instinctives, disons passionnelles. Roman exotique, encore, d'une poésie d'autant plus prenante qu'elle modère son lyrisme, et que la discrétion qui préside à l'évocation des paysages s'égale à la sobriété que régit la révélation des sentimentalités diverses. En retrait de l'aventure, de l'analyse et de la notation pittoresque, enfin, — mais perceptible seulement aux gens qui, depuis les malencontreux accords de Potsdam, ne se désintéressèrent jamais des politiques européennes dans le Proche-Orient, — la vérité historique.
Une œuvre à ce point inquiétante et sûre et de proportions harmonieuses, écrite dans une langue pure et nette, n'est peut-être pas éloignée d'être la perfection du roman. On peut tenir Sous les murs de Bagdad pour un roman parfait.
Pierre Guitet-Vauquelin



Émile Zavie Sous les murs de Bagdad, roman. — Paris, La Renaissance du livre, 1923, 336 p.

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